Historique et couronnée de succès, la coopération de défense entre la France et le Royaume-Uni a pris une dimension nouvelle à la faveur des accords de Lancaster House du 2 novembre 2010. Ces accords renforcent la coopération entre nos deux pays tant sur le plan capacitaire que sur le plan opérationnel, contribuant à consolider une relation de défense qui, par son amplitude et son intensité, connaît peu d’équivalents dans le monde.
Le 7 février dernier, les présidents des commissions de la défense de l’Assemblée nationale et de la Chambre des communes ont décidé, à l’occasion d’une réunion du groupe de travail interparlementaire associant les quatre chambres de nos deux pays, de créer une mission d’information conjointe, ce qui constitue une initiative inédite pour nos deux commissions. Celle-ci a pour objet l’un des programmes les plus structurants de la coopération franco-britannique : le programme futur missile anti-navires/futur missile de croisière (FMAN/FMC).
Ce programme prolongera la coopération bilatérale engagée dans le secteur des missiles dès les années 1990, avec le lancement du programme SCALP/Storm Shadow. Celle-ci a eu pour corollaire l’intégration continue de nos industries missilières au sein d’un acteur industriel unique et de taille mondiale : MBDA. Les accords de Lancaster House, à l’origine de l’initiative “One MBDA”, rationalisent cette consolidation, en instituant entre la France et le Royaume-Uni une relation de dépendance mutuelle assumée, qui se traduit par la constitution de centres d’excellence implantés dans les deux pays.
La conduite en commun du programme FMAN/FMC s’appuie, avant tout, sur le constat d’une convergence stratégique et opérationnelle entre la France et le Royaume-Uni.
Face à une même analyse des menaces, le besoin opérationnel exprimé par nos deux pays est naturellement comparable. Il vise, d’une part, une capacité anti-navires lourde pour faire face à la possibilité d’un affrontement en haute mer et, d’autre part, une capacité de frappe permettant d’atteindre les défenses aériennes ainsi que des objectifs durcis dans la profondeur du dispositif adverse.
Afin d’assurer un haut niveau de performance des futurs missiles, de nombreuses améliorations touchant la portée, la vitesse, la furtivité, la manœuvrabilité ou encore la connectivité sont actuellement à l’étude, dans le cadre d’une phase de concept conduite par MBDA. En cours depuis 2017, celle-ci fait suite à une étude préliminaire, conduite à l’initiative de nos deux pays, en partenariat avec MBDA, et précède la phase de conception, de développement et de production du futur missile, qui devrait débuter en 2020.
La conduite de ce programme jusqu’à son terme exigera néanmoins de résoudre certaines questions toujours en suspens.
La principale d’entre elle concerne la manière dont le Royaume-Uni fera face au “trou capacitaire” en matière de capacité anti-navires lourde à la suite du retrait de service du missile Harpoon, en 2023.
Alors que, par le passé, les choix du Royaume-Uni ont davantage porté sur la furtivité quand la France privilégiait la vélocité, la capacité à s’entendre sur un vecteur, voire sur une famille de vecteurs, constitue un deuxième enjeu.
En dépit de ces interrogations, la France et le Royaume-Uni ont tout intérêt à rechercher une solution permettant d’assurer la réussite d’un programme dont les bénéfices mutuels seraient considérables pour nos deux pays.
Sur le plan opérationnel, la conduite d’un tel programme d’armement en coopération contribuera à garantir le maintien de notre liberté d’action, dont l’opération Hamilton menée en Syrie en avril 2018 a démontré l’importance. Loin de conduire à un repli sur soi, la préservation de la souveraineté sur ces futurs missiles s’accompagne d’une priorité donnée à l’interopérabilité avec les systèmes dont disposent nos alliés, afin de faciliter, le cas échéant, la conduite d’opérations en commun.
Sur le plan politique, le programme FMAN/FMC confortera la coopération de défense entre la France et le Royaume-Uni. Au-delà, un tel programme, qui pourrait s’ouvrir à d’autres pays européens, contribue au renforcement de notre défense collective.
Sur le plan industriel, ce programme permettra de maintenir et de pérenniser les compétences nécessaires au développement de missiles de pointe au sein de la base industrielle et technologique de défense de nos deux pays. Rappelons, de ce point de vue, que la conception et le développement d’armes aussi complexes font appel à des compétences rares, longues à acquérir et rapides à perdre.
Par ailleurs, d’un point de vue économique et budgétaire, le partage des coûts de développement et de production du futur missile, tout autant que les débouchés d’exportation, permettront d’alléger le fardeau financier que représente un programme aussi ambitieux.
Enfin, alors que le Royaume-Uni s’apprête à quitter l’Union européenne, la conduite de ce programme d’armement jusqu’à son terme sera l’occasion de démontrer la solidité de notre coopération bilatérale en matière de défense.
Dès lors, il y a tout lieu de se montrer optimiste quant à la capacité de nos deux pays à mener ce programme à son terme et, ainsi, à poursuivre la construction d’une relation toujours plus robuste entre la France et le Royaume-Uni.
L’histoire de la coopération de défense entre la France et le Royaume-Uni est ancienne et couronnée de succès, particulièrement dans le domaine des missiles. La Royal Navy fut ainsi, dans les années 1970, l’un des premiers acquéreurs du missile anti-navires Exocet, et le Royaume-Uni fut la seule nation à opérer la version la plus avancée de son auto-directeur. Le premier missile antinavires lancé depuis un hélicoptère dont s’est dotée la Royal Navy, l’AS12, était également de fabrication française. Plus récemment, la coopération franco-britannique s’est traduite par la constitution d’une force expéditionnaire interarmées commune (Combined Joint Expeditionary Force–CJEF), à même d’être déployée dans le cadre d’opérations conduites de manière bilatérale, sous l’égide de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, de l’Union européenne, des Nations unies ou encore dans le cadre d’autres coalitions. Elle a également été incarnée par la conduite en commun, en partenariat avec les États-Unis, d’une opération de frappes aériennes en Syrie, en avril 2018.
L’approfondissement de notre coopération bilatérale est le fait des accords de Lancaster House,97 signés en 2010 par les autorités de nos deux pays. Ces accords poursuivent cinq objectifs:
a)optimiser leurs capacités [de chaque pays] en coordonnant le développement, l’acquisition, le déploiement et l’entretien d’un éventail de capacités, d’installations, d’équipements, de matériels et de services afin de s’acquitter de tout l’éventail des missions, y compris les plus exigeantes;
b)renforcer l’industrie de défense des deux Parties, promouvoir la coopération en matière de recherche et de technologie et développer des programmes de coopération en matière d’équipements;
c)se déployer ensemble sur les théâtres où les deux Parties sont convenues de s’engager, dans des opérations menées sous les auspices des Nations Unies, de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ou de la Politique de sécurité et de défense commune de l’Union européenne, ou au sein d’une coalition ou dans un cadre bilatéral, et soutenir, selon un accord défini au cas par cas, une Partie lorsqu’elle est engagée dans des opérations auxquelles ne participe pas l’autre Partie ;
d)assurer la viabilité et la sécurité de leur dissuasion nationale, dans le respect du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires;
e)apporter leur soutien à l’action des Nations Unies, de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et de l’Union européenne dans le cadre de la politique commune de sécurité et de défense, ainsi qu’à la complémentarité entre l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et l’Union européenne dans tous les domaines pertinents.98
De manière complémentaire, les deux Gouvernements ont fait plusieurs annonces concernant:
a)la constitution d’une force expéditionnaire interarmées commune (CJEF), non permanente, mais disponible avec un préavis pour des opérations bilatérales, de l’OTAN, de l’Union européenne, des Nations Unies ou d’autres opérations;
b)le développement, d’ici le début des années 2020, d’une capacité à déployer une force aéronavale d’attaque intégrée franco-britannique composée d’éléments des deux pays;
c)la mise en place d’un plan de soutien commun pour les futures flottes d’avions de transport A400M afin de réduire les coûts, d’améliorer la disponibilité des avions et d’ouvrir la voie à une coopération renforcée en matière de maintenance, de logistique et de formation, pour les opérations à partir du territoire national ou de l’étranger;
d)le développement en commun des équipements et technologies pour la prochaine génération de sous-marins nucléaires;
e)l’harmonisation des plans concernant les équipements et systèmes antimines dans le cadre de la guerre des mines;
f)l’évaluation du potentiel de coopération sur les futures communications militaires par satellite afin de réduire les coûts généraux tout en préservant la souveraineté nationale;
g)l’étude de la possibilité d’utiliser les capacités excédentaires qui pourraient être mises à disposition dans le cadre du programme britannique FSTA (Future Strategic Tanker Aircraft) pour répondre aux besoins de la France en matière de ravitaillement en vol et de transport aérien militaire;
h)le lancement d’un travail en commun sur la prochaine génération de drones de surveillance moyenne altitude et longue endurance;
i)la mise en œuvre d’un plan stratégique décennal concernant le secteur britannique et français des missiles;
j)la poursuite de la coopération importante en matière de recherche et de technologie, chaque pays devant consacrer 50 millions d’euros par an à des projets communs de recherche et développement;
k)l’agrément d’un cadre régissant le renforcement de la coopération bilatérale dans le domaine de la cybersécurité, et le renforcement de la coopération en matière de lutte anti-terroriste.99
Depuis 2010, des sommets bilatéraux se sont tenus tous les deux ans afin de suivre la mise en œuvre des accords de Lancaster House. Le plus récent, organisé à Sandhurst, a eu lieu le 18 janvier 2018.
Les accords de Lancaster House n’ont pas seulement renforcé la coopération bilatérale au niveau gouvernemental; ils ont également conduit à intensifier les relations interparlementaires. Cet approfondissement s’est traduit par la constitution d’un groupe de travail interparlementaire franco-britannique sur la mise en œuvre de la coopération bilatérale dans le domaine de la défense.
Ce groupe a été créé à l’issue d’une rencontre organisée le 6 décembre 2010, à laquelle participaient, d’une part, des membres de la commission de la Défense de la Chambre des communes et des sous-commissions de la Chambre des Lords chargées de l’Union européenne et des Affaires étrangères, de la défense et du développement, et d’autre part, des membres de la commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale et de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des forces armées du Sénat. L’objectif de cette rencontre était de définir, de manière coordonnée, les modalités du contrôle parlementaire relatif à l’activité du groupe de travail de haut niveau réunissant les ministres français et britanniques,100 et de suivre la mise en œuvre des accords de Lancaster House. C’est à cette occasion qu’il a été décidé de tenir deux rencontres annuelles du groupe de travail interparlementaire. Les quatre chambres parlementaires y sont représentées de la manière suivante:
Ces dernières années, le groupe de travail interparlementaire s’est réuni à plusieurs reprises. À titre d’exemple, en 2018, le groupe s’est réuni:
Ces différentes réunions ont permis aux parlementaires des deux pays d’échanger sur les réalisations et les perspectives en matière de coopération opérationnelle et industrielle entre la France et le Royaume-Uni dans le cadre des accords de Lancaster House.
À l’occasion de la réunion du groupe de travail interparlementaire organisée à Paris le 7 février dernier, le président de la commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale, M. Jean-Jacques Bridey, et le président de la commission de la Défense de la Chambre de communes, M. Julian Lewis, sont convenus d’approfondir les relations entre leurs deux commissions.
Ils ont ainsi décidé de la création d’une mission d’information commune sur le programme d’armement futur missile anti-navires/futur missile de croisière (FMAN/FMC), relatif au développement d’une nouvelle génération de missiles anti-navires et de frappe dans la profondeur à l’horizon 2030. Ces futurs missiles ont vocation à remplacer les capacités actuelles, c’est-à-dire les missiles Exocet et Harpoon s’agissant de la frappe anti-navires, ainsi que les missiles de croisière SCALP/Storm Shadow. En 2017, MBDA s’est vu confier, par les autorités des deux États, une étude de concept portant sur le développement de la future génération de missiles anti-navires et de croisière au profit des deux pays. C’est donc à cette question que les deux commissions ont souhaité consacrer cette première mission commune, notamment en raison de l’importance de l’initiative ‘One Complex Weapon’, au cœur de la coopération franco-britannique en matière de défense.
Conformément aux termes de références arrêtés par les deux présidents, la mission d’information conjointe s’est notamment intéressée aux questions suivantes:
Si le champ de la mission conjointe était initialement limité à la future capacité anti-navires, c’est bien au programme FMAN/FMC dans son ensemble qu’elle a, en définitive, consacré ses travaux.
La mission d’information conjointe était composée de plusieurs membres de la commission de la Défense de la Chambre des communes, et en particulier de MM. John Spellar, Mark Francois, Mme Madeleine Moon et M. Gavin Robinson,101 ainsi que d’une délégation de membres de la commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale. Conduite par deux co-rapporteurs, Mme Natalia Pouzyreff et M. Charles de la Verpillière, celleci comprenait également MM. Alexis Corbière, Jean-Pierre Cubertafon, Jean-Jacques Ferrara, Jean-Christophe Lagarde, Jean-Charles Larsonneur et Stéphane Trompille.
Dans le cadre des travaux de la mission d’information, deux sessions d’auditions communes ont été organisées, à Londres le 11 juillet et à Paris le 24 juillet. À Londres, la mission a entendu M. Guto Bebb, alors ministre chargé des acquisitions de défense, Sir Simon Bollom, directeur général de l’Agence des équipements et du support en matière de défense (DE&S) du ministère de la Défense, du lieutenant général102 Mark Poffley, sous-chef d’état-major “Plans” de l’état-major des armées. À Paris, les parlementaires ont procédé aux auditions de M. Joël Barre, délégué général pour l’armement, de l’amiral Christophe Prazuck, chef d’état-major de la marine, et de M. Antoine Bouvier, présidentdirecteur général de MBDA, accompagné de M. Chris Allam, directeur général de la branche britannique de MBDA. Côté britannique, La mission a également reçu des contributions écrites de la part de Lockheed Martin, MBDA et Raytheon. De plus, les parlementaires français ont conduit des auditions complémentaires de personnels militaires et d’acteurs industriels. La commission de la Défense de la Chambre des communes a, quant à elle, pu compter sur l’expertise de MM. Jeremy Stocker et John Louth. Les auteurs du présent rapport adressent leurs sincères remerciements à l’ensemble des personnes ayant contribué aux travaux de la présente mission d’information.
Le programme FMAN/FMC vise à produire une nouvelle génération de missiles en remplacement des missiles anti-navires Exocet et Harpoon et des missiles de croisière SCALP/Storm Shadow qui, à l’horizon 2030, ne permettront plus de répondre à la menace. Les convergences qui existent entre nos deux pays et la proximité des attentes autour de ces futures capacités ont conduit, en 2010, au lancement de ce programme dans le cadre d’une coopération franco-britannique.
Comme on l’a vu, le programme FMAN/FMC ne marque pas le début de la coopération franco-britannique dans le domaine des missiles. Âgée de vingt ans, celle-ci tire ses origines du programme de frappe dans la profondeur SCALP EG/Storm Shadow, lancé par les deux pays à la fin des années 1990.
Le programme SCALP EG/Storm Shadow
Constatant l’efficacité des frappes de missiles de croisière américains lors de la première guerre du Golfe, les forces françaises et britanniques expriment, au début des années 1990, le besoin d’une capacité de frappe de cibles stratégiques dans la profondeur du dispositif adverse. Pour répondre à ces besoins, deux compétitions distinctes sont lancées dans chaque pays.
Si, faute de moyens budgétaires, la compétition française ne donne lieu à aucun contrat, l’appel d’offres lancé par le ministère de la Défense britannique en 1994103 débouche, en 1996, sur la sélection de l’offre présentée par le consortium Matra Bae Dynamics (MBD), créé à cette occasion par British Aerospace (BAé) et Matra. Le contrat est notifié à MBD en 1997 pour le développement et la production d’environ mille missiles.
Ainsi que le rappelait une étude récente,104 l’appel d’offres britannique a ouvert une ‘voie de sortie’ à la France : l’alignement sur le choix britannique lui a permis de résoudre son équation budgétaire. Ainsi, en 1998, la France notifie à la société MBD un contrat portant sur une série de 500 missiles au lieu des 100 missiles initialement envisagés, grâce à la réduction des coûts unitaires permise par la double commande britannique et française. Ce programme d’armement n’est donc pas, à proprement parler, le résultat d’une coopération franco-britannique, mais de deux contrats signés de manière indépendante avec un industriel, MBD, qui a accepté d’assumer les risques contractuels et financiers d’un tel programme.
Le missile de croisière qui résulte de ce programme, dénommé SCALP EG dans sa version française et Storm Shadow dans sa version britannique, dote les forces françaises et britanniques d’un atout considérable. Il combine une portée élevée, de l’ordre de 400 kilomètres, permettant d’assurer la sécurité de la plateforme de lancement, avec une furtivité qui lui permet de rester inaperçu par les défenses adverses. Le SCALP EG/Storm Shadow équipe les Tornado et les Eurofighter Typhoon de la Royal Air Force ainsi que les Mirage 2000 et les Rafale de l’armée de l’air et de la marine françaises.
Ce programme de coopération ambitieux, largement salué pour sa réussite, a montré tout l’intérêt d’une coopération dans un domaine relevant pourtant de la souveraineté nationale. Il a permis à nos deux pays de maintenir une véritable autonomie opérationnelle en produisant une arme dont la performance rivalise avec les capacités américaines sans pour autant dépendre des États-Unis. La mise en commun des moyens et des savoir-faire des deux pays a permis un partage des coûts qui, dans le cas français, a rendu ce programme acceptable d’un point de vue budgétaire. Enfin, le programme SCALP EG/Storm Shadow a été “ le principal catalyseur de la création de l’industriel européen MBDA”.105
Programme fondateur, le programme SCALP EG/Storm Shadow a ouvert la voie à de nouvelles coopérations entre la France et le Royaume-Uni, qui se sont d’ailleurs parfois élargies à d’autres partenaires européens.106
Cette coopération a franchi une nouvelle étape il y a presque dix ans, en 2009, la France et le Royaume-Uni ayant décidé de manière conjointe du lancement du programme ‘anti-navires léger’ (ANL - Sea Venom). Celui-ci a vocation à offrir une capacité complémentaire au missile anti-navires lourd107 afin de neutraliser en mer, depuis un hélicoptère, des embarcations rapides et légères. Après une phase d’études et de dialogue, le projet a été confirmé lors du Sommet franco-britannique de Brize-Norton du 31 janvier 2014, permettant la notification du contrat de développement et de production du missile à MBDA par les ministres français et britanniques chargés de la Défense.108 Actuellement en phase d’essai,109 le programme ANL est considéré comme précurseur du programme futur missile anti-navires / futur missile de croisière. En effet, d’aucuns estiment qu’il constitue un ‘test’ sur la capacité franco-britannique à lancer conjointement ce programme qui, bien que portant également sur la capacité antinavires, est d’une toute autre ampleur.
Historique, la coopération franco-britannique dans le domaine des missiles a été considérablement renforcée par la signature des accords de Lancaster House, le 2 novembre 2010. Depuis cette date, la France et le Royaume-Uni ont fait le point tous les deux ans et, lors du dernier sommet en date, le sommet de Sandhurst qui s’est tenu le 18 janvier 2018, le président de la République, M. Emmanuel Macron, et la Première ministre britannique, Mme Theresa May, ont confirmé ces orientations. À cette occasion a été annoncée la mise en place d’un forum de discussion régulier et permanent consacré à la coopération franco-britannique. Plusieurs réunions de haut niveau, qui ont notamment permis d’aborder la coopération dans le domaine des missiles, ont été tenues depuis cette date.110
Aujourd’hui, l’initiative ‘One Complex Weapon’ initiée par le traité de Lancaster House se trouve au cœur de cette coopération. Elle couvre un large spectre de projets conjoints dans le domaine des missiles, incluant:
D’un programme structurant engagé à la fin des années 1990, la coopération franco-britannique est montée en puissance pour intégrer un nombre toujours plus important de programmes de missiles.
L’importance de la coopération franco-britannique a eu pour corollaire l’impulsion d’un rapprochement industriel entre les deux pays. La création de MBDA, et les nombreux succès rencontrés par cet acteur industriel, constituent la plus grande réussite en la matière.
MBDA: l’émergence d’un acteur international de premier plan dans le domaine des missiles
Alors que, dans les années 1990, le secteur européen des missiles était fragmenté entre de multiples acteurs industriels, le programme SCALP EG/Storm Shadow a entrainé un rapprochement industriel entre Matra et BAé. Selon l’étude de la Fondation pour la recherche stratégique précitée, “pour Matra Défense comme pour BAe Dynamics, il est apparu assez vite que l’alliance pouvait et devait se transformer en une fusion (solution poussée aussi par les [acteurs] étatiques des deux côtés de la Manche)”. Comme on l’a vu, cette fusion a débouché sur la création de Matra Bae Dynamics (MBD), un nouvel acteur de taille mondiale doté d’une large palette de produits dans le domaine des missiles.
Ce processes s’est renforcé à la faveur de la fusion de MBD avec l’italien Marconi Systems, puis avec le français Aérospatiale. Cet ensemble consolidé a donné naissance à MBDA en 2001. Le programme SCALP EG/Storm Shadow reste néanmoins la matrice qui a conduit, par étapes, à la création de MBDA.
MBDA représente aujourd’hui 70% de l’industrie missilière en Europe. Par comparaison, ses concurrents européens ont des capacités qui restent assez limitées. Aujourd’hui, ainsi que l’expliquait M. Joël Barre devant les parlementaires français et britanniques réunis à Paris, MBDA est “le missilier européen […] comme le montrent ses résultats économiques à l’exportation, de même que les systèmes qu’il a été capable de réaliser pour nos deux pays”.
Percevant les bénéfices de cette rationalisation industrielle, la France et le Royaume-Uni ont décidé, de manière volontariste dans le cadre des accords de Lancaster House, de lancer l’initiative ‘One MBDA’ consistant à rapprocher davantage les entités de MBDA en France et au Royaume-Uni.
L’initiative ‘One MBDA’ vise à constituer une industrie missilière pérenne, compétitive et indépendante qui permette à la France et au Royaume-Uni d’assurer le maintien de leur souveraineté et de garantir leur liberté d’action dans le domaine des missiles. La déclaration franco-britannique accompagnant le traité de Lancaster House résume ainsi les bénéfices attendus de cette initiative: “Cette stratégie optimisera la fourniture de capacités militaires, adaptera nos technologies plus efficacement, permettra une interdépendance accrue et consolidera notre base industrielle dans le secteur des missiles”.
À ces motivations s’ajoute la réduction de la charge de développement sur les budgets nationaux attendus des synergies provoquées par le rapprochement des entités de MBDA. Les signataires du traité de Lancaster House estimaient ainsi que les économies résultant de la mise en place d’une industrie missilière européenne unique pourraient atteindre 30% du coût du développement des missiles.
Source de nombreux bénéfices, l’initiative ‘One MBDA’ repose sur un choix politique fort de nos deux pays en faveur d’une relation de dépendance mutuelle. En effet, chaque pays accepte de se reposer sur l’autre, tout autant que de se renforcer par l’autre, dans le développement et la production de ses missiles. Cette dépendance mutuelle suppose avant tout une profonde confiance dans la force des liens qui unissent nos deux pays. Cet engagement politique est d’autant plus ambitieux qu’il porte sur un domaine stratégique situé au cœur de la souveraineté nationale.111
En pratique, l’accord intergouvernemental signé le 24 septembre 2015 par les ministres des deux pays112 s’est traduit par la réorganisation de MBDA en France et au Royaume-Uni. Des “centres d’excellence” partagés ont ainsi été mis en place des deux côtés de la Manche dans un certain nombre de domaines technologiques afin d’optimiser les compétences et de dégager des économies d’échelle au bénéfice de la compétitivité de l’entreprise.
Il existe huit centres d’excellence, qui se répartissent entre quatre centres spécialisés et quatre centres fédérés. La France accueille ainsi les centres spécialisés dans les calculateurs et les équipements de test; le Royaume-Uni, les centres spécialisés dans les gouvernes et les liaisons de données. Pour les quatre centres d’excellence fédérés–algorithmes, charges militaires, logiciel et navigation–chaque nation conserve un niveau significatif de compétences, tout en permettant un meilleur équilibre de charge renforçant l’efficacité de MBDA. Ainsi, les ingénieurs d’une des deux nations peuvent travailler sur les programmes de l’autre.
C’est cette organisation qui faisait dire à M. Joël Barre, délégué général pour l’armement, lors de son audition à Paris: “aujourd’hui, notre industrie missilière est franco-britannique. MBDA est une société franco-britannique qui dispose de pôles d’excellence partagés par les deux nations et de l’ensemble des compétences nécessaires pour réaliser les programmes de missiles ambitieux dont nous parlons aujourd’hui”.
Cette dépendance mutuelle constitue bien le fondement essentiel du schéma de coopération entre la France et le Royaume-Uni tel qu’issu des accords de Lancaster House. La mise en commun d’un grand nombre de ressources industrielles du secteur missilier constitue un modèle unique à ce jour, dont a pu bénéficier la base industrielle et technologique de défense de nos deux pays.
La France et le Royaume-Uni partagent une analyse des menaces convergente et un même besoin opérationnel à un horizon commun. Ce cadre est favorable à la conduite conjointe d’un programme de renouvellement de l’Exocet et du Harpoon et du couple SCALP EG/Storm Shadow.
Aujourd’hui, les documents stratégiques tant britanniques que français113 insistent sur une modification brutale du contexte géostratégique à l’horizon 2030 par rapport à l’état du monde au cours des deux ou trois dernières décennies.114
Deux évolutions importantes du contexte géostratégique nécessitent une montée en puissance des capacités militaires occidentales.
En premier lieu, on assiste aujourd’hui à un retour des États puissance, qui s’accompagne d’une recrudescence d’une forme de compétition stratégique entre États sur la scène internationale. À titre d’exemple, les investissements considérables consentis par la Russie, d’un montant équivalant à 3 à 4 % de son PIB, et la Chine, dont le budget militaire a été multiplié par quatre en seulement dix ans, se sont traduits par la conception et la construction d’arsenaux notables en quantité comme en qualité. Devant les parlementaires, l’amiral Prazuck, chef d’état-major de la marine française, constatait ainsi “l’émergence de nouvelles puissances, à même de construire l’équivalent de la marine française tous les quatre ans [la Chine], et dotées de capacités offensives susceptibles de remettre en cause la souveraineté de certains espaces maritimes, ou la sécurité de lignes de communications essentielles au ravitaillement de l’Europe”. Une nouvelle “course aux armements” semble bel et bien engagée.
Cette nouvelle donne stratégique se traduit d’ores et déjà par un renforcement des tensions dans plusieurs régions du monde. En mer de Chine méridionale, la Chine a entrepris l’occupation de plusieurs îles contestées, suscitant de vives tensions avec les pays de la région ainsi qu’avec les États-Unis. Les frictions se multiplient également dans le ciel au Levant du fait de la concentration des acteurs impliqués dans le conflit syrien et dans la lutte contre le terrorisme. Un chasseur F-16 israélien a ainsi été récemment abattu en Syrie,115 événement difficilement concevable il y a encore une dizaine d’années.
En second lieu, l’accès aux espaces stratégiques est de plus en plus contesté en raison de l’essor et de la dissémination de systèmes de déni d’accès (anti-access, area denial ou A2/AD) de plus en plus performants. Ces stratégies d’A2/AD sont le produit d’un renforcement:
Traditionnellement aux mains des grandes puissances, ces systèmes ont connu une large dissémination, comme en témoigne la prolifération des systèmes russes de type S-300 ou S-400 en Syrie, jusqu’à entrer en possession d’acteurs non-étatiques. Cette dissémination ne concerne pas seulement les armes courantes mais également les matériels les plus récents. À titre d’exemple, des milices Houthis ont récemment employé des missiles anti-navires dans le golfe Arabopersique, visant notamment des bâtiments américains.
Ce bouleversement de l’environnement stratégique devrait se poursuivre. L’amiral Prazuck rappelait devant les parlementaires que “les pertubateurs stratégiques ont massivement investi dans des missiles hyper-véloces de longue portée ou des systèmes de défense surface-air performants et proliférants”. Les auteurs de ce rapport considèrent que des incidents entre puissances sont susceptibles de se produire de plus en plus régulièrement, avec un risque accru d’escalade de la violence. Pour nos deux pays, c’est donc à un affrontement de haute intensité qu’il convient de se préparer.
Au-delà d’une même analyse de la menace, les forces de nos pays sont relativement semblables, ce qui explique la proximité de la vision stratégique et opérationnelle entre la France et le Royaume-Uni.
Principales puissances militaires sur le continent européen, les deux pays ont en commun un outil militaire qui leur assure des capacités militaires de pointe sur la terre, en mer et dans les airs. Cet outil militaire est financé par des budgets de défense qui devancent largement ceux des autres pays européens.117
Chaque marine possède près de quatre-vingts bâtiments de surface, qui incluent des sous-marins nucléaires et des porte-avions.118 Observant ces similarités, l’amiral Prazuck n’hésite pas à faire de la marine française et de la Royal Navy britannique des marines “jumelles”. Par ailleurs, l’armée de l’air de chaque pays comprend près de huit cents aéronefs, dont des avions de combat très performants. On pense, en France, au Mirage 2000 et au Rafale et, au sein de la Royal Air Force, au Typhoon et au Tornado.
Au-delà des plateformes navales et aériennes, cette convergence est particulièrement forte dans le domaine des missiles. Ainsi que l’affirmait Joël Barre, délégué général pour l’armement, devant les parlementaires: “Hormis la France et le Royaume-Uni, aucun pays en Europe ne dispose à ce jour de capacités de frappe dans la profondeur”. Cette proximité avait déjà pesé, il y a vingt ans, sur la décision de lancer le programme SCALP EG/Storm Shadow sur la base d’une coopération franco-britannique.
De plus, la France et le Royaume-Uni partagent des valeurs et des intérêts communs au service desquels ils mettent en œuvre leurs moyens militaires. À la suite des accords sur l’Entente cordiale de 1904, la France et le Royaume-Uni ont en effet construit une alliance solide et durable sur la base d’une doctrine d’emploi de la force comparable. Cette convergence stratégique a conduit les deux pays à mener de nombreux combats en commun, des deux guerres mondiales aux coalitions internationales de la fin du XXe siècle, comme lors de la première guerre du Golfe ou des guerres de l’ex-Yougoslavie.
En dépit de certaines divergences, illustrées par la participation du Royaume-Uni à la guerre en Irak à partir de 2003, la France et Royaume-Uni ont, dans les années récentes, pu vérifier la réalité de leur proximité stratégique en participant à de nombreuses opérations communes, dont l’opération Harmattan en Libye 2011 et l’opération Hamilton en Syrie en avril 2018.
Dès lors, avec une même analyse de la menace, des forces semblables et une doctrine d’emploi similaire, la France et le Royaume-Uni ne peuvent qu’exprimer un besoin opérationnel comparable. Si les études en cours visent encore à préciser le besoin opérationnel de chacun, étape préalable à la recherche d’une solution commune sur le programme FMAN/FMC, le parallélisme du besoin opérationnel exprimé par nos deux pays est, dans ses grandes lignes, certain.
Pour conserver des forces de premier rang, la France et le Royaume-Uni devront conserver une capacité de frappe en mer de haut niveau et la maîtrise de la troisième dimension. Pour ce faire, la modernisation des capacités françaises et britanniques dans le domaine des missiles est un point fondamental, tant il s’agit d’armements devenus essentiels.
Historique des missiles anti-navires et des missiles de croisière
Les missiles anti-navires et les missiles de croisière sont au cœur des opérations militaires contemporaines. La guerre des Six Jours de juin 1967 a marqué le remplacement de l’artillerie par les missiles anti-navires comme armement principal des bâtiments de surface. La destruction de la frégate israélienne Eilat, en octobre 1967, est liée au tir d’un missile anti-navires égyptien. À l’origine de cette bascule, le missile anti navires lourd confère un avantage opérationnel incontestable à ses détenteurs.
Le missile de croisière a fait son apparition plus tardivement avec le Tomahawk américain, dont la première utilisation date de la première guerre du Golfe en 1990–1991. Comme on l’a vu, l’efficacité du Tomahawk américain a conduit la France et le Royaume-Uni à s’équiper de leurs propres missiles de croisière en lançant le programme SCALP EG/Storm Shadow.
Les missiles anti-navires et les missiles de croisière constituent bien des armes d’emploi. Certes, la marine française, qui possède des missiles anti-navires depuis le début des années 1970, n’a jamais tiré d’Exocet en opération. En revanche, d’autres États y ont eu recours, notamment l’Argentine pour atteindre le destroyer britannique HSM Sheffield lors de la guerre des Malouines. Plus récemment, des organisations non-étatiques, du Hezbollah aux milices Houthis, ont mis en œuvre des missiles anti-navires. Au total, près de 800 missiles de ce type ont été tirés.
Apparu plus récemment, le missile de croisière SCALP/Storm Shadow a été utilisé pour la première fois par les Britanniques dans le cadre de l’opération Telic en Irak en 2003. La France a elle aussi procédé au tir de nombreux missiles SCALP lors de l’opération Harmattan en Libye en 2011, lors de l’opération Chammal en Irak en 2016, puis à nouveau lors de l’opération Hamilton en Syrie en avril 2018.
Selon toute vraisemblance, à l’horizon 2030, le FMAN/FMC aura vocation à répondre à trois besoins:
De manière plus précise, le futur missile anti-navires (FMAN) devra répondre à un double-besoin.
En premier lieu, il permettra de faire face à la possibilité d’une confrontation de flottes en haute mer, liée à la résurgence des États puissance évoquée précédemment. De manière concrète, le nouveau missile devra permettre à nos bâtiments de surface comme à nos aéronefs (avions de combat, avions de patrouille maritime) de neutraliser un bâtiment jugé menaçant, afin de préserver nos intérêts et ceux de nos alliés. Il s’agit donc avant tout d’un outil défensif, dont la modernisation permettra à nos marines de conserver leur prééminence dans la compétition stratégique en mer.
En second lieu, le FMAN devrait également pouvoir être employé de manière plus offensive, afin de répondre à la multiplication des défenses sol-air ou sol-mer, en particulier celles installées le long des côtes. Aujourd’hui, ces systèmes se sont perfectionnés par l’emploi de missiles anti-missiles à la portée et à la manœuvrabilité accrues lancés, de surcroît, depuis des plateformes très mobiles, donc difficilement atteignables.
Pour cette raison, le général de division aérienne Thierry Angel, sous-chef préparation de l’avenir à l’état-major de l’armée de l’air, devant les rapporteurs, comme l’amiral Prazuck devant les membres des deux commissions, soulignaient que le FMAN pourrait remplir la capacité de suppression des défenses aériennes ennemies (suppression of enemy air defense ou SEAD). Par exemple, nos forces devront être en mesure d’atteindre des systèmes longue portée de type S-300 ou S400, eux-mêmes défendus par des systèmes de défenses aériennes courte portée de type Pantsir S-1, à la fois très véloces et manœuvrants.
Le futur missile de croisière (FMC) permettra, quant à lui, de renouveler la capacité de frappe dans la profondeur, afin d’atteindre des objectifs de haute valeur, très souvent durcis, dans la profondeur du dispositif adverse. Aujourd’hui, cette capacité est délivrée au moyen des missiles SCALP/Storm Shadow, très performants mais qui apparaîtront obsolètes à l’horizon 2030. La performance du futur missile de croisière est d’ailleurs en partie liée à la capacité du futur missile anti-navires à éliminer les défenses sol-air ou sol-mer adverses, afin de permettre sa pénétration dans la profondeur du territoire ennemi.119
Le lancement d’une coopération dans le domaine de l’armement suppose des calendriers compatibles entre partenaires. Cette condition semble tout à fait satisfaite puisque le besoin opérationnel exprimé par la France et le Royaume-Uni doit être rempli à l’horizon 2030.
Logiquement, les échéances des deux pays convergent entièrement s’agissant de la capacité de frappe dans la profondeur. Conçus conjointement et livrés à peu près au même moment, les missiles SCALP EG / Storm Shadow seront retirés du service à des dates comparables.
Équipant les forces françaises et britanniques, ils présentent aujourd’hui plusieurs obsolescences opérationnelles. Capables aujourd’hui d’atteindre une cible située à environ 400 kilomètres, ces missiles auront néanmoins une portée trop faible face à l’accroissement de la portée des missiles adverses. Le déploiement de systèmes d’A2/AD de plus en plus performants impose donc un saut technologique afin d’accroître la survivabilité du missile et de la plateforme.
Dans ce contexte, la rénovation à mi-vie lancée sur la moitié du stock en 2016 vise à traiter une partie de ces obsolescences. La portée et la capacité à tirer d’une altitude plus élevée seront légèrement augmentées. Par ailleurs, les capacités de résistance au brouillage des systèmes de navigation seront renforcées tandis que l’autodirecteur et la reconnaissance de cible seront améliorés. Cette rénovation permet d’envisager le retrait des missiles SCALP/Storm Shadow à l’horizon 2032.
Concernant le renouvellement de la capacité anti-navires, force est de constater que les calendriers des deux pays convergent également, malgré l’existence d’une période transitoire pour le Royaume-Uni.
Le missile Exocet, qui équipe la marine française dans trois versions mermer, air-mer et sous-marine concentre aujourd’hui plusieurs insuffisances opérationnelles. En plus de stocks relativement faibles, le missile Exocet dispose d’une vitesse qui reste subsonique et d’une portée limitée à quelques dizaines de kilomètres.
Le dernier modèle de la version mer-mer du missile (MM 40 Block 3) a toutefois accru la performance d’ensemble en permettant, grâce à l’utilisation d’un turboréacteur, d’atteindre une distance de tir de 180 kilomètres ainsi qu’une vitesse transsonique (Mach 0.9). À partir de 2019, une nouvelle version dotée d’un autodirecteur plus précis dans l’acquisition de la cible et plus résistant aux mesures de brouillage adverses verra le jour. Ce futur missile, appelé MM40 Block 3C, garantira à ses détenteurs une capacité de réponse à l’évolution de la menace au cours des dix à quinze années à venir.
Par ailleurs, la LPM 2019–2025 a prévu des travaux de gestion des obsolescences sur les versions air-mer et sousmarine existantes afin de maintenir cette génération de missile jusqu’à la décennie 2030.
À l’image de la famille Exocet, le Harpoon américain opéré par les forces britanniques n’est plus à la hauteur des attentes. Le Harpoon n’est plus utilisé par la Royal Air Force et son retrait de service de la Royal Navy est annoncé pour 2023.120
Les Britanniques auront donc à faire face à un “trou capacitaire” sur leur capacité anti-navires lourde entre 2023 et 2030. En 2023, ils possèderont toutefois le nouveau missile ANL–Sea Venom, garantissant le maintien d’une capacité antinavires légère. Les enjeux en la matière seront abordés dans la deuxième partie du présent rapport.
Changer de gamme: un éventail d’évolutions opérationnelles et technologiques possibles
Dans ce contexte, le programme FMAN/FMC permet d’envisager un saut qualitatif permettant à la France et au Royaume-Uni de changer de gamme.
Les études en cours visent à définir les principales évolutions attendues du FMAN/FMC par rapport aux capacités actuelles. Elles permettront de proposer des performances précises à atteindre en termes de portée, de survivabilité ainsi que de connectivité.
En parallèle, un effort d’innovation important devra être réalisé afin d’assurer la maturation des technologies nécessaires aux performances recherchées sur ce programme.
S’il n’appartient pas aux auteurs du présent rapport de préempter les options qui seront en définitive présentées dans le cadre de ces études, il est ici proposé de passer en revue les évolutions opérationnelles et technologiques envisageables.
L’accroissement de la portée est un moyen de réduire l’exposition de la plateforme de lancement du missile sur laquelle sont stationnés les hommes et les femmes déployés en opération. L’’entrée en premier’ sur le théâtre d’opérations peut se faire alors, non plus par la plateforme, mais directement par le missile avec, à la clef, une meilleure protection des militaires.
À l’heure actuelle, selon les informations disponibles, le missile Exocet MM40 offre une portée de 72 km pour le Block 2 et de plus de 180 km pour le Block 3,121 contre 125 km pour la version mer-mer du Harpoon et 300 km pour le Harpoon Block 2.122 Quant à eux, les missiles SCALP/Storm Shadow ont une portée d’environ 400 km. La dissémination des systèmes de défenses aériennes pourrait conduire à une augmentation de la portée afin d’atteindre une gamme de l’ordre du millier de kilomètres.
Le choix d’un accroissement de la portée supposerait un travail sur les technologies liées à l’aéropropulsion, en lien avec les autres composantes du missile, notamment la masse de la charge militaire.
La survivabilité désigne la capacité d’un missile à “survivre” aux défenses adverses pour atteindre sa cible. Elle est la réponse directe au développement des systèmes d’A2/AD et, pour cette raison, la garantie du maintien d’une supériorité stratégique sur les théâtres d’opérations.
La survivabilité peut s’appuyer sur différentes performances: la furtivité, la vitesse ou encore la manœuvrabilité.
(a)La furtivité est la qualité qui réduit la distance à laquelle un missile est détecté par les défenses ennemies. Elle résulte de techniques et de technologies destinées à réduire les ondes émises ou reflétées par un missile. Face à la progression des technologies radar, l’enjeu consiste aujourd’hui à élargir la bande de fréquences dans laquelle la furtivité est assurée. Les acteurs industriels britanniques disposent d’une réelle expertise dans ce domaine.
(b)La vitesse assure la survivabilité d’un missile en limitant le temps de réaction des défenses adverses. Aujourd’hui, les capacités françaises et britanniques ont une vitesse qui, en avoisinant Mach 0,8 ou 0,9 (990 à 1 100 km/h), approche la vitesse du son sans l’atteindre.
Certaines nations disposent d’ores et déjà de capacités supersoniques et travaillent en vue de dépasser ce stade pour atteindre des vitesses supérieures à Mach 4 (4 940 km/h) ou Mach 5 (6 170 km/h). M. Philippe Duhamel, directeur général adjoint “systèmes de mission de défense” de la société Thalès estimait devant les parlementaires français que, dans le cadre du programme FMAN/FMC, la France et le RoyaumeUni pourraient viser une vitesse Mach 7 (8 640 km/h).
L’atteinte de ces performances exige des progrès technologiques en matière de motorisation supersonique. Afin d’accroître la chaleur au niveau du moteur et, en conséquence, d’augmenter la vitesse du missile, une meilleure maîtrise des matériaux haute température est nécessaire. De plus, des travaux conduits en partenariat avec l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (ONERA) permettront d’améliorer l’aérodynamique interne et externe du missile, à savoir l’écoulement de l’air dans la chambre de combustion et le frottement de l’air à la surface du missile.
La France investit particulièrement dans le domaine de la supervélocité en raison des choix opérés dans le cadre de la dissuasion.
c) La manœuvrabilité désigne la résistance du missile aux intercepteurs pendant sa période de navigation. Elle est la qualité qui assure la survivabilité du missile en dernier recours, lorsque celui-ci a été détecté et qu’il fait l’objet de contre-mesures adverses. Le FMAN/FMC devra pouvoir être plus précis dans l’acquisition de sa cible et s’affranchir des contre-mesures électroniques susceptibles de brouiller le système de navigation du missile.
L’amélioration de ces performances suppose une amélioration du guidage terminal, c’est-à-dire de la phase ultime de la navigation lors de laquelle l’autodirecteur du missile entre en fonction. Les études en cours permettront de départager les différents modes de guidage possibles–électromagnétique, optique, bimode–en fonction de la maturité des technologies, du besoin opérationnel et du coût.
Afin d’équiper le futur missile d’un mode de guidage terminal adapté, d’importants progrès sont attendus sur les autodirecteurs, notamment autour du radar imageur SAR. La France et le Royaume-Uni disposent tous deux d’une filière industrielle qui maîtrise ces technologies et qui a démontré son excellence à plusieurs reprises sur les précédents programmes de missiles. Ces travaux sur la performance de l’autodirecteur du FMAN/FMC supposent que les deux pays s’engagent à un niveau élevé de partage des informations, tout en veillant à conserver leurs savoir-faire respectifs.
L’analyse du besoin opérationnel fait notamment ressortir la nécessité d’une résistance du système de guidage à des environnements différents. À titre d’exemple, le guidage optique peut être un facteur limitant selon les conditions météorologiques et les caractéristiques techniques du missile, notamment en matière de vitesse. En conséquence, afin de dépasser les limitations de chaque mode et de doter le système de guidage d’une certaine robustesse, il pourrait être envisagé d’équiper le FMAN/FMC d’un autodirecteur multimodal, qui pourrait allier un mode d’autoguidage par radar passif ou actif avec une solution infrarouge.
En raison de la cohérence d’action et de la réactivité qu’elle offre aux armées, la connectivité des hommes, des porteurs et des systèmes d’armes sera déterminante dans les combats de demain. Le FMAN/FMC a ainsi vocation à être intégré dans une architecture globale, de manière à pouvoir être utilisé conjointement avec les autres composantes d’un même système de combat.
Aujourd’hui, la plupart des missiles sont programmés avant leur lancement: après le tir, la cible ne peut plus être modifiée. Sur certains systèmes, la plateforme de lancement peut néanmoins continuer à transmettre des informations après le tir de manière à modifier la cible en cours de navigation. Demain, la mise en réseau permettra à toutes les composantes du système de combat, et non plus seulement au lanceur, de reprogrammer le missile en vol en cas de besoin. Cette capacité est devenue nécessaire à la réalisation des missions anti-navires et SEAD en raison de la fugacité des objectifs visés.
En effet, le FMAN/FMC a vocation à s’inscrire dans l’architecture des systèmes d’arme du futur caractérisés, sous l’influence de la révolution numérique, par le “combat collaboratif”.123 Le développement de ces systèmes intégrés fait aujourd’hui l’objet d’un fort volontarisme de la part des deux pays. Parallèlement au lancement du programme franco-allemand Future combat air system (FCAS), le Royaume-Uni a ainsi annoncé, le 16 juillet 2018, le lancement du programme Tempest, appelé à devenir le système de combat aérien du futur britannique. Si la France et le Royaume-Uni travaillent sur des projets de FCAS distincts, le chemin parcouru ensemble, en particulier dans le domaine des drones, devra nous conduire à poursuivre notre coopération afin d’assurer la compatibilité et l’interopérabilité des systèmes futurs.
Grâce à ces systèmes d’armes du futur, les forces françaises et britanniques seront mieux équipées pour répondre à l’intensification des menaces et à l’existence d’ennemis plus agiles. L’interconnexion des plateformes navales et aériennes permettra la mise en réseau du FMAN/FMC avec l’ensemble des capteurs des futurs systèmes de combat. Lorsqu’un capteur détectera une menace, le ciblage du missile s’ajustera en temps réel, permettant d’accroître la réactivité des forces.
Afin de produire cette intégration dans des systèmes de combat, il est nécessaire de développer les liaisons de données et les moyens de connectivité, en veillant à ce qu’ils ne soient pas brouillables. Le système devra également être employable de manière ‘rustique’, en permettant par exemple de frapper à vue en cas de perte de connectivité, quelle qu’en soit la raison.
Si l’ensemble de ces performances est actuellement envisagé par les deux pays, les arbitrages n’interviendront qu’avec la fin de la phase de concept prévue en 2020.
Le lancement du programme FMAN/FMC remonte à la signature du traité de Lancaster House, le 2 novembre 2010. Depuis lors, chaque sommet a été l’occasion de réaffirmer le soutien de nos deux pays à ce programme d’armement.124 Lors du dernier en date, le Sommet de Sandhurst du 18 janvier 2018, les partenaires ont ainsi affirmé “poursuivr[e] la phase de conception du FMAN/FMC afin de déterminer la combinaison optimale de solutions pour remplacer nos missiles antinavires et nos missiles de croisière”.
La conduite des programmes d’armement obéit, dans chaque pays, à une procédure distincte. En France, la conduite des programmes d’armement est encadrée par une instruction ministérielle de conduite des programmes d’armement.125 La politique d’acquisition du Royaume-Uni est quant à elle fixée suivant le cycle ‘Concept, Assessment, Development, Manufacturing, In-service, Disposal’ (CADMID). Des accords intergouvernementaux signés à chaque nouvelle étape du programme permettent le rapprochement des procédures d’acquisition britannique et française.
Le calendrier global du programme FMAN/FMC fait ressortir quatre grandes étapes: l’étude préliminaire (2011–2014), l’étude de concept (2017–2020), la phase de design (2020–2024) et la phase de développement et de production (2024–2030).
À la suite du lancement du programme FMAN/FMC lors du traité de Lancaster House, la France et le Royaume-Uni ont conclu en novembre 2011 un arrangement technique qui a lancé l’étude préliminaire en partenariat avec MBDA.
Le Concept Perseus
À intervalles réguliers, MBDA lance un appel à idées sur un thème précis auquel répondent des équipes de jeunes salariés issus de tous les pays où MBDA est implanté. Un processus d’évaluation interne conduit à la sélection d’une idée, appelée “concept vision”, présentée au salon Euronaval et à laquelle MBDA octroie des moyens pour permettre son développement.
En 2011, le projet présenté, dénommé Perseus, était un missile supersonique, furtif et très manœuvrable destiné à remplacer les missiles Harpoon et Exocet ainsi que le SCALP/Storm Shadow.
Devant les parlementaires français et britanniques réunis à Paris, M. Antoine Bouvier indiquait qu’à l’époque, Perseus consistait en une simple étude de concept qui était le résultat d’un travail de six mois mené par une équipe d’une dizaine de jeunes. Il affirmait ainsi que Perseus “n’[avait] donc [plus] rien à voir en termes de budget et d’études techniques avec ce dont nous discutons aujourd’hui”.
Cette première étude avait pour objectif d’affiner les besoins opérationnels des deux pays et d’identifier, dans les grandes lignes, les concepts de missiles susceptibles d’y répondre. Elle a rendu nécessaire de procéder à un échange de données sensibles entre les deux pays, avec un niveau croissant de sensibilité des informations échangées au fil du temps.126
L’étude préliminaire, qui s’est terminée en 2014, a permis de mesurer le degré élevé de convergence dans la définition du besoin opérationnel de chaque pays. La perception d’un besoin opérationnel commun a incité les autorités politiques des deux pays à formuler, lors du sommet d’Amiens du 3 mars 2016, le vœu d’une poursuite du programme FMAN/FMC.
À la suite de la déclaration d’intention du sommet d’Amiens, le programme FMAN/FMC a franchi une nouvelle étape avec le lancement de la phase de concept dans le cadre d’un accord entre les deux gouvernements, annoncé le 28 mars 2017,127 puis d’un contrat signé avec MBDA le 31 mars 2017.
D’un montant de 100 millions d’euros, financé à parts égales par la France et la Royaume-Uni, le contrat signé avec MBDA a vocation à s’étaler sur une durée pouvant aller jusqu’à 36 mois. Le suivi de ce marché est assuré par une équipe commune de projet, mise en place par la DGA et son homologue britannique, le DE&S.
L’étude de concept a pour objectif d’approfondir la compréhension des possibilités offertes par les différentes architectures de missiles au regard du besoin opérationnel des deux pays. Au-delà des capacités intrinsèques du missile en termes de furtivité ou de vitesse, les forces armées ont besoin d’une arme performante réellement capable d’atteindre sa cible, ce qui suppose de confronter les différents concepts aux différents scénarios d’emploi possibles du futur missile.
De manière plus précise, le marché est divisé en deux tranches:
a)Une tranche ferme de 18 mois, qui comprend deux points d’étape:
b)Une tranche optionnelle de 21 mois128 au cours de laquelle des études plus approfondies sont conduites sur les concepts sélectionnés lors de la revue principale d’architecture et certains risques technologiques sont levés.
En définitive, l’étude de concept, dont la fin est prévue en 2020, doit permettre de faire émerger une ou plusieurs solutions capables de satisfaire les besoins exprimés par la France et le Royaume-Uni. Au-delà de leur aptitude à répondre au besoin opérationnel des deux pays, les solutions retenues dépendront du coût d’acquisition et de la crédibilité du calendrier de réalisation. Il est nécessaire de rappeler que le choix final ne portera pas nécessairement sur un vecteur unique, mais pourrait porter sur une famille de vecteurs permettant d’assurer de manière distincte la capacité anti-navires et suppression des défenses aériennes d’une part, et la capacité frappe dans la profondeur, de l’autre.
En parallèle, l’étude de concept permettra également d’établir les feuilles de route de maturation des technologies requises pour assurer le développement des différentes solutions retenues.
À la fin de l’étude de concept, les autorités françaises et britanniques devront arbitrer en faveur d’un ou plusieurs systèmes qui entreront en phase de design. Prévue pour débuter en 2020, la phase de design, lors de laquelle des prototypes de missiles seront élaborés, devrait s’étaler jusqu’en 2024. Par la suite, le lancement du développement et de la production du FMAN/FMC devrait intervenir en 2024 afin de permettre le remplacement des systèmes d’armes actuels à l’horizon 2030.
La poursuite du programme FMAN/FMC au-delà de la phase de concept nécessitera, après 2020, la conclusion de nouveaux accords bilatéraux entre la France et le Royaume-Uni. Le maintien d’un élan politique autour de ce programme dépendra sans aucun doute de la capacité des deux pays à résoudre certaines questions qui restent en suspens.
Les personnes auditionnées à Londres comme à Paris ont indiqué aux membres de la mission conjointe que d’importants progrès avaient été réalisés dans le cadre de la phase de concept, et que cette dernière devrait être conclue avec succès en 2020.
Néanmoins, plusieurs questions importantes doivent encore être résolues afin de poursuivre le programme au-delà de cette date. Celles-ci incluent la manière de faire face au trou capacitaire britannique sur la capacité anti-navires, entre le retrait de service du missile Harpoon, en 2023, et l’entrée en service du FMAN/FMC, prévue à l’horizon 2030 ; la capacité de nos pays à s’accorder sur l’option technologique à retenir pour ces futurs missiles, entre une solution subsonique et une solution supersonique ; le mode de sélection de l’acteur industriel chargé du développement de ces futurs missiles ; l’interopérabilité du FMAN/FMC, y compris avec les plateformes construites par nos autres alliés.
L’une des questions les plus pressantes, qui est également l’une des plus prégnantes pour l’avenir du programme FMAN/FMC, a trait à la manière dont le Royaume-Uni répondra au trou capacitaire qu’il rencontrera en matière de frappe anti-missiles après le retrait du service des missiles Harpoon, prévu en 2023.
Le Harpoon
Entré en service en 1984, le missile Harpoon est l’unique missile antinavires lourd mis en œuvre par la Royal Navy. D’une portée d’environ 130 kilomètres, il équipe les frégates de type 23 et les destroyers de type 45. Une version sous-marine du Harpoon équipait par ailleurs les sous-marins de la classe Trafalgar jusqu’en 2003. Selon le think tank ThinkDefence, le Harpoon présente les caractéristiques suivantes:
Le guidage du Harpoon est d’abord assuré depuis la plateforme de lancement. Des changements directionnels, à certains points de cheminement du système GPS ou en cours de trajectoire peuvent également être introduits dans le système de guidage initial. Le guidage terminal est, quant à lui, réalisé à partir du radar actif de l’auto-directeur. Il est également possible de définir le profil d’attaque du missile au moment de son lancement. En raison de leurs lacunes en matière de transmission de données comme de guidage terminal, les Harpoon détenus par la Royal Navy sont souvent considérés comme obsolètes eu égard à l’environnement opérationnel actuel.
Initialement prévu en 2018, le retrait de services du Harpoon a été repoussé à 2023 d’après les représentants du ministère de la Défense britannique.129 Ceux-ci ont également indiqué à la mission d’information qu’à compter de cette date, les seules capacités dont disposera la Royal Navy en matière de frappe anti-navires seront mises en œuvre à partir de ses hélicoptères Wildcat.
Les capacités anti-navires mises en œuvre depuis un hélicoptère
Entre 1982 et 2017, les hélicoptères de la Royal Navy ont mis en œuvre des missiles anti-navires Sea Skua. Emportés sous les hélicoptères Lynx, les Sea Skua, dont la portée est de 15 kilomètres, disposent d’un système de guidage par radar semi-actif, et furent les premiers missiles à être développés spécifiquement pour la flotte aéronavale de la Royal Navy. Ils ont été employés avec succès lors de la Guerre des Malouines et de la première Guerre du Golfe.
Le successeur du Sea Skua, qui devrait entrer en service en 2020, est le missile anti-navire léger ANL/Sea Venom. D’un poids d’environ 100 kilogrammes, dont une charge explosive de 30 kilogrammes, l’ANL est guidé par un auto-directeur infrarouge. Ce missile aura vocation à détruire des cibles en mer, des vedettes rapides et manœuvrantes à la corvette, tout en disposant d’une capacité air-sol, afin d’atteindre, le cas échéant, des cibles terrestres. Conçu de telle sorte que son auto-directeur infrarouge permette la fonction “tire et oublie”, il dispose également d’une liaison de données bidirectionnelle permettant de transmettre des informations en temps réel du missile vers l’hélicoptère et réciproquement. Aussi, l’opérateur en charge du tir sera en mesure, pendant le vol, de désigner une nouvelle cible, de corriger ou d’affiner la cible ou de le neutraliser–capacité “homme dans la boucle”. Par ailleurs, s’il est décidé de doter le missile d’une capacité de guidage par laser semi-actif, il sera possible à un opérateur tiers de désigner une cible située en dehors du champ de vision du lanceur.
Dans le cadre de l’initiative ‘One Complex Weapon’, la France et le Royaume-Uni ont signé, en mars 2014, un arrangement technique couvrant le développement complet du missile ANL/Sea Venom, du financement d’un démonstrateur à la production du missile. Agissant au nom de la France et du Royaume-Uni, le ministère britannique de la Défense a notifié le contrat de développement et de production du missile à la société MBDA, le 26 mars 2014, pour un montant de l’ordre de €600 millions (£500 million). La direction générale de l’armement assure avec la DE&S, son homologue britannique, la conduite du programme au sein d’un bureau de programme commun (Joint Project Office) implanté à Bristol. Selon les premières estimations, ce programme devrait conduire à la création de 200 emplois dans chaque pays.
Selon MBDA, l’ANL “conservera certaines des caractéristiques du Sea Skua [...] et restera compatible avec l’empreinte logistique actuelle, permettant aux opérateurs de ces systèmes de s’adapter aisément à ces nouvelles capacités”. Il offrira par ailleurs les avantages suivants:
Un premier tir a été effectué avec succès le 21 juin 2017. Un second tir a eu lieu le 18 avril 2018,130 de manière tout aussi réussie.
Les hélicoptères Wildcat seront également équipés de missiles Martlet, plus connus sous l’appellation Light (ou Lightweight) Multi-role Missile (LMM). Conçu par Thales, ce missile a vocation à être employé contre des petites embarcations, telles des skiffs ou des zodiacs pneumatiques ou semi-rigides. Sa portée est de huit kilomètres.
Selon Thales, le LLM est un missile peu cher, léger, précis, conçu pour être tiré depuis une plateforme tactique, ce qui inclut des drones à voilure tournante ou fixe ainsi que des plateformes de surface. Ce système a été conçu afin de permettre de réagir rapidement à une large gamme de menaces terrestres–allant des véhicules sur roues ou chenillés à des systèmes d’artillerie mobile ou des installations fixes–ainsi que des menaces navales–des petits bateaux aux zodiacs rapides en environnement côtier–ou encore des menaces aériennes depuis de petits aéronefs.
Initialement, le Harpoon devait être retiré du service en 2018. Cumulé au trou capacitaire constitué par le décalage entre le retrait des Sea Skuas et l’entrée en service de l’ANL/Sea Venom, une telle date aurait privé la Royal Navy de capacités anti-navires durant deux ans, tandis qu’aurait été allongée la durée du trou capacitaire sur la frappe anti-navires lourde.
La prolongation de la durée de vie du Harpoon jusqu’en 2023 ne comble que partiellement la lacune en matière de capacité anti-navires, dans la mesure où le programme FMAN/FMC n’aboutira pas avant 2030. En effet, si rien n’est fait, la Royal Navy ne pourra compter, entre 2023 et 2030, que sur les missiles antinavires légers tirés depuis ses hélicoptères, les torpilles sous-marines et les systèmes d’artillerie des frégates et des destroyers.
Le ministère de la Défense britannique dispose de plusieurs options pour faire face au ‘trou capacitaire’ sur la capacité anti-navires qui surviendra après 2023: celles-ci incluent des options de court terme destinées à combler le vide, qui seraient compatibles avec le programme FMAN/FMC, ainsi que des mesures de remplacement de long terme qui pourraient remettre en cause le programme FMAN/FMC.
Prolonger à nouveau la durée de vie du Harpoon
Le ministère de la Défense britannique a dit envisager la possibilité d’un nouveau prolongement de la durée de vie du Harpoon, au-delà de 2023. Cependant, lors de leurs auditions par la mission conjointe le 11 juillet, M. Guto Bebb, alors ministre chargé des acquisitions militaires, ainsi que Sir Simon Bollom, ont reconnu qu’une telle extension “représenterait un véritable défi”, lié aux difficultés qui touchent au système énergétique, à l’aéropropulsion et à la charge militaire du Harpoon en raison de son âge avancé. Il faut ajouter à cela les inquiétudes qui ont trait à l’obsolescence du Harpoon, qui paraît de plus en plus inadapté au contexte géostratégique contemporain.131
Un ‘achat sur étagère’ pour remplacer le Harpoon
Au regard de ces difficultés, le ministère de la Défense britannique pourrait juger plus raisonnable de se doter d’une capacité anti-navires de substitution, par le biais d’un “achat sur étagère”, pour combler le vide après 2023. Devant les parlementaires de la mission conjointe, le ministère de la Défense britannique a clairement indiqué que de nombreuses options étaient disponibles et qu’elles faisaient actuellement l’objet d’un examen approfondi. Selon M. Guto Bebb, l’étude de ces solutions, en plus de la conduite de la phase de concept, est nécessaire pour s’assurer que le ministère de la Défense britannique ait “une vision d’ensemble de toutes les options qui s’ouvrent à nous [lui]”.
Selon Naval Technology, les solutions de substitution qui pourraient faire l’objet d’un achat sur étagère par le ministère de la Défense britannique incluent:
(a)le LRASM (Long-Range Anti-Ship Missile): Opérable depuis des capacités de lancement verticales et aériennes, le LRASM de Lockheed Martin est équipé d’un système interne d’acquisition de la cible qui ne dépend ni du système de navigation par GPS, ni de communications de données externes, et qui est résistant aux mesures de brouillage et de détection. Il est interopérable avec le F-35. Le LRASM entre en service cette année au sein de l’US Air Force, et l’année prochaine au sein de l’US Navy. Selon certaines sources,132 l’Australie, le Royaume-Uni et le Canada se seraient dits intéressés par l’acquisition de ce missile, dont le coût unitaire se situe entre 700 000 dollars et un million de dollars;
(b)le NSM (Naval Strike Missile): La version multi-fonction de ce missile, développée conjointement par Kongsberg et Raytheon, serait compatible avec le F-35 et présenterait un coût moins élevé que le LRASM ou la dernière version du Harpoon. Selon Raytheon,133 le NSM est un missile “éprouvé, abordable–et disponible aujourd’hui. Le NSM est un missile de longue portée et de précision capable d’atteindre et de détruire des bâtiments ennemis à une distance pouvant aller jusqu’à cent miles nautiques”. La durée de vie du NSM s’étend jusqu’en 2040;
(c)le RBS15 Mk3: Produit par Saab, le RBS15 Mk3 se caractérise, selon Naval Technology, par “de nombreuses caractéristiques haut de gamme, qui incluent des contremesures électroniques complexes et une interface d’utilisation graphique avancée [ … ] il emporte une charge militaire lourde, pré-fragmentée et dotée d’une forte capacité explosive, sur une distance pouvant atteindre 134 miles nautiques à une vitesse de 0,9 Mach”;
(d)le ministère de la Défense britannique pourrait également décider de se procurer la version Block II+ du Harpoon. Le Block II+, dont l’entrée en service est prévue cette année au sein de l’US Navy, “présente une plus grande fiabilité et une plus grande survivabilité” que les versions précédentes grâce à un nouveau système de guidage par GPS et de nouvelles liaisons de données qui permettent “des mises à jour en vol”, ainsi qu’une amélioration de la capacité de discrimination de la cible et “une résistance renforcée aux contre-mesures électroniques”;
(e)une autre alternative consisterait à déployer la dernière version de l’Exocet MM40 Block 3. La Royal Navy opérait déjà l’Exocet jusqu’en 2002. Selon Naval Technology, le Block 3 se caractérise par une portée accrue, atteignant 97 miles nautiques, et “un certain nombre d’améliorations et de montées en gamme, qui incluent des modifications du système de navigation qui se réfère désormais aux points de cheminement GPS pour exploiter différents angles d’attaques contre des cibles en mer et pour permettre une capacité de frappe terrestre limitée”.134 Une actualisation de ce missile, le Block 3 C, équipera bientôt la marine française. Selon Janes, il est doté “d’un nouveau radar à antenne active qui constitue la pièce maîtresse d’un système de navigation et de guidage digitalisé” qui devrait se traduire par “d’importants progrès dans la capacité de discrimination de la cible et la résistance aux contre-mesures électroniques”.135
En plus des systèmes évoqués précédemment, le missile Otomat MK2 Block IV136 produit par MBDA Italie est une des options qui s’offre au RoyaumeUni, selon Sir Mark Poffley lors de son audition par les parlementaires, à Londres.137
Lors de son audition à Londres, celui-ci a confirmé que le ministère de la Défense britannique souhaitait se doter d’une capacité anti-navires dans sa version mer-mer pour remplir le trou capacitaire. Sir Poffley a néanmoins reconnu qu’aucune ligne de crédits n’était prévue pour ce type d’achat au sein de l’actuel programme d’équipement et qu’il s’agissait, en conséquence, d’un des “souhaits” du ministère de la Défense britannique dans le cadre de la modernisation de la programmation militaire en cours de discussion (Modernising Defence Programme).
Si le ministère de la Défense britannique devait opter pour un achat sur étagère, et qu’il était en mesure de sécuriser le financement, un tel choix pourrait avoir d’importantes répercussions pour le programme FMAN/FMC. Si, devant les parlementaires réunis à Paris, les représentants de la DGA et de MBDA ont reconnu comprendre que le Royaume-Uni veuille combler le vide laissé par le retrait de service du Harpoon, ils ont exhorté les autorités britanniques à rester vigilantes sur la manière d’y procéder.
M. Joël Barre a notamment averti les parlementaires que s’il “comprenait parfaitement le fait qu’il faille combler ce trou capacitaire [ … ] la décision que prendront les autorités britanniques pour ce faire ne doit pas mettre en péril notre coopération sur le FMAN/FMC”. Il a donc appelé le ministère de la Défense britannique à opter pour une solution portant sur une “période de relativement courte durée”, plutôt que de remplacer le Harpoon par un missile qui serait toujours en service en 2030. Si cette dernière option devait malgré tout être retenue, M. Barre estimait que, compte tenu de l’absence de missile sur le marché capable de répondre au besoin opérationnel défini pour le programme FMAN/FMC à l’horizon 2030, le Royaume-Uni devrait vraisemblablement se tourner vers un missile dont le niveau de performance serait inférieur au FMAN/FMC. En résumé, M. Joël Barre était soucieux que le Royaume-Uni ne choisisse pas, pour remplacer le Harpoon, une solution alternative au FMAN/FMC ou fasse un choix qui “repousse, pour le Royaume-Uni, l’horizon d’aboutissement de ce projet”.
M. Chris Allam, directeur général de la branche britannique de MBDA, a également indiqué aux parlementaires percevoir toute décision de remédier à la lacune sur la capacité anti-navires lourde après 2023 comme un risque pesant sur le programme FMAN/FMC. M. Allam a ainsi suggéré “qu’un substitut intérimaire à même de combler ce fossé, si les Britanniques le choisissent, serait la meilleure solution–en d’autres termes, quelque chose qui puisse perpétuer les capacités dont ils disposent jusqu’en 2030”.
Si, pour certaines des personnes auditionnées, une prolongation de la durée de vie du Harpoon constitue une option envisageable, une solution, soulevée lors de la journée d’auditions conjointe à Paris, serait l’acquisition de l’Exocet. M. Joël Barre a notamment affirmé que la France serait “tout à fait prête” à proposer l’Exocet au ministère de la Défense britannique, tandis que l’amiral Prazuck a indiqué “savoir qu’il s’agit en effet d’une hypothèse envisagée par la Royal Navy.”
Afin de demeurer une marine de premier rang, la Royal Navy doit équiper ses bâtiments de surface d’un ensemble d’armes offensives et défensives. Jusqu’à aujourd’hui, une capacité anti-navires lourde, assurée grâce au système de missile Harpoon, a fait partie de cet ensemble. Lorsque le Harpoon atteindra sa fin de vie en 2023, le Royaume-Uni sera confronté à un véritable trou capacitaire jusqu’à l’entrée en service du FMAN/FMC, prévue en 2030. Ce manque au sein de l’arsenal militaire britannique ne sera pas résorbé de manière satisfaisante par le missile anti-navire léger (ANL) qui équipera, à partir de 2020, les hélicoptères Wildcat de la Royal Navy.
Si chacun comprend que le ministère de la Défense britannique veuille combler cette lacune et que, pour cela, un certain nombre d’options, qui varient selon l’âge, le coût et les performances des capacités, sont envisageables. Cependant, pour chacun des choix envisagés, le ministère de la Défense britannique devra rester vigilant aux éventuelles conséquences tant sur le programme FMAN/FMC que, plus globalement, sur la relation franco-britannique dans le domaine militaire, ainsi que sur la base industrielle britannique.
Les auditions menées par la mission conjointe mettent en lumière que toute décision de se procurer un système dont la durée de vie dépasserait 2030, et dont les caractéristiques rempliraient le besoin opérationnel identifié dans le cadre du programme FMAN/FMC, ne serait pas bien vue par Paris et pourrait sérieusement porter atteinte à la relation bilatérale qui s’est développée entre nos deux pays depuis 2010.
C’est pourquoi, aux côtés des travaux conduits dans le cadre de l’étude de concept du programme FMAN/FMC, le ministère de la Défense britannique doit réaliser une analyse réfléchie des différentes options permettant de faire face au problème. Cette analyse doit inclure une évaluation technique de la prolongation de la durée de vie du Harpoon, du renforcement de certaines capacités existantes permettant d’assurer une capacité anti-navires plus lourde, et des avantages et des inconvénients de chaque solution sur étagère, y compris de l’acquisition du Harpoon Block II destiné à équiper l’avion de patrouille maritime P-8 d’une capacité anti-navires aérienne et l’achat potentiel de l’Exocet dans sa composante mer-mer pour la Royal Navy.
En procédant à cet examen, le ministère de la Défense britanniquedoit mettre en balance les économies susceptibles d’être réalisées grâce à l’achat d’un missile existant avec les coûts potentiels pour la base industrielle britannique, en termes d’emplois et de compétences, la capacité des britanniques à détenir des capacités souveraines et la coopération de défense franco-britannique.
Si la phase de concept débouche sur une volonté renouvelée des deux partenaires de poursuivre le programme FMAN/FMC, il sera nécessaire de converger sur les principales évolutions opérationnelles et technologiques attendues sur le futur missile. À l’heure actuelle, les deux pays convergent sur l’analyse des menaces auxquelles ils font face et sur les capacités qu’ils espèrent tirer, dans les grandes lignes, du programme FMAN/FMC, en partie liées aux défis de la pénétration et de la survivabilité des missiles dans un contexte de renforcement des systèmes d’A2/AD. Néanmoins, il reste des domaines importants sur lesquels les deux Gouvernements doivent encore converger, et notamment la question du choix entre furtivité et vélocité.
La capacité des deux pays à converger pourrait achopper sur la question de savoir si la priorité doit être accordée au développement de missiles supersoniques et manœuvrants, ou de missiles subsoniques mais plus furtifs. Historiquement, les acteurs militaires et industriels français ont privilégié la vitesse à la furtivité, considérant que la vitesse permettait d’accroître la survivabilité du missile en privant l’adversaire de tout temps de réaction. Cette approche contraste avec celle choisie par le Royaume-Uni, qui a toujours opté pour des systèmes de missiles plus furtifs. Cette divergence entre nos deux pays a été soulignée par M. Antoine Bouvier lors de son audition par la mission conjointe : “Il y a en France et en Grande-Bretagne des cultures opérationnelles, des cultures techniques, des expériences, des héritages technologiques bien différents. En deux mots, la culture opérationnelle et technologique est plutôt fondée, en France, sur la vitesse, tandis qu’en Grande-Bretagne, elle repose davantage sur la manœuvrabilité et la furtivité”.
Ces deux options sont étudiées dans le cadre de la phase de concept. Au cours des auditions conduites à Paris, la capacité des deux pays à converger sur une solution commune a été identifiée comme l’un des enjeux majeurs du programme FMAN/FMC, tant par M. Joël Barre, que par M. Antoine Bouvier ou l’amiral Prazuck.
Pour ce dernier, les deux options devraient être comparées l’une à l’autre “afin de déterminer laquelle est la plus efficace”. M. Antoine Bouvier a, quant à lui, suggéré une approche similaire, en appelant à “un approfondissement des échanges entre les deux pays afin de mettre sur la table les avantages et les inconvénients de chaque solution technique [ … ] et que chaque pays expose le plus ouvertement possible à l’autre les mérites et limites des différentes solutions, de manière à ce que la meilleure décision soit prise”.
La convergence des deux pays sur les principales évolutions opérationnelles et technologiques attendues sera une condition nécessaire pour passer de la phase de concept au déploiement complet du programme FMAN/FMC. En particulier, le choix entre des missiles supersoniques ou des missiles furtifs subsoniques constitue l’un des principaux enjeux.
Un choix définitif entre furtivité et vitesse n’est néanmoins pas indispensable pour converger sur ce sujet. Le développement, d’un côté, d’un missile anti-navires supersonique et, de l’autre, d’un missile de croisière plus furtif, dont certains sous-ensembles se caractériseraient tout de même par un haut niveau de communalité, est une solution envisageable, qui devrait être approfondie dans le cadre de la phase de concept. Une telle approche permettrait de s’appuyer sur les atouts respectifs de chacun dans le domaine des missiles et, en conséquence, pourrait conduire à une répartition plus efficiente du développement et de la production du missile entre les deux pays.
Afin de permettre au programme FMAN/FMC de se poursuivre après 2020, les deux Gouvernements devront s’entendre sur le mode de sélection du principal cocontractant. En pratique, il s’agit d’un choix entre l’organisation d’une compétition ouverte et l’attribution, sans compétition préalable, du principal contrat à MBDA.
Cette question a été posée au ministère de la Défense britannique lors de la journée d’auditions conjointes organisée à Londres. M. Guto Bebb, alors ministre des acquisitions militaires, a répondu qu’il s’agissait “d’une question qui mérite d’être posée” et que “la position par défaut du Royaume-Uni est d’envisager la mise en concurrence comme le moyen garantissant le meilleur rapport qualité/prix”.
Toutefois, à Paris, M. Joël Barre a affirmé qu’il n’imaginait pas “mettre en compétition MBDA à l’issue de la phase de concept”. M. Barre a répété à plusieurs reprises que, selon lui, MBDA était “le missilier européen”. Selon M. Barre, MBDA est “un atout stratégique majeur” tant pour la France que pour le Royaume-Uni, ce qui signifie que “c’est donc à MBDA qu’échoit le rôle de développer ces missiles”. Évoquant les problèmes susceptibles d’être posés par l’organisation d’une compétition ouverte, il a souligné le risque qu’une telle décision puisse ouvrir le processus d’acquisition aux acteurs américains. Ce dernier a également insisté sur les technologies et les données sensibles qui ont déjà été échangées avec MBDA et entre les Gouvernements dans le cadre de la phase de concept. Selon M. Barre, “on ne peut pas remettre en cause le choix initial après avoir franchi de telles étapes”. Toutefois, celui-ci a reconnu n’avoir pas encore discuté du processus d’acquisition avec ses homologues britanniques.
Si la mission conjointe n’a pas discuté du processus d’acquisition avec MBDA, M. Chris Allam a, quant à lui, insisté sur l’importance du programme FMAN/FMC pour l’entreprise. D’après lui, le programme FMAN/FMC fait partie de “ce type de programme qui permet à MBDA de rester à la pointe dans la conception de missiles” et d’assurer, à ce titre, le maintien des compétences acquises dans le domaine des missiles en Europe.
MBDA est une entreprise franco-britannique unique dotée d’un niveau d’expertise et de compétence considérable dans le domaine de la fabrication des missiles. Le fait d’avoir choisi MBDA pour conduire la phase de concept est, en soi, une marque de confiance dans ses capacités et nous reconnaissons l’importance du contrat de développement et de production du FMAN/FMC au regard du maintien et du développement de MBDA tant en France qu’au Royaume-Uni. S’il est décidé de confier à MBDA le contrat principal de développement des futurs missiles, sans ouverture à la concurrence, des dispositions devront être prises afin de garantir le meilleur rapport qualité-prix pour les deux pays.
Nous sommes conscients que la France et le Royaume-Uni ont traditionnellement privilégié différentes approches en matière d’acquisition militaire et qu’il puisse falloir du temps pour trouver un compromis. Toutefois, il paraît surprenant que les deux Gouvernements n’aient pas encore discuté du processus d’acquisition au sein du programme FMAN/FMC. Alors que la phase de concept vient à peine d’être lancée en 2017, la nouvelle étape envisagée à la fin de la phase de concept en 2020 exige que les deux Gouvernements soient sur la même ligne concernant le processus d’acquisition. Nous recommandons qu’ils entament des discussions sur le processus d’acquisition du programme FMAN/FMC et parviennent à un accord provisoire avant que la phase de concept ne s’achève en 2020.
La France comme le Royaume-Uni seront probablement amenés à participer à des opérations majeures conduites en coalition, par exemple dans le cadre de l’OTAN. Dans ce contexte, l’interopérabilité constitue un enjeu de première importance. Cela est tout aussi vrai au sein des forces armées de chaque pays, alors que nombre d’équipements ont fait l’objet de processus d’acquisitions divers. À Londres, le lieutenant général Sir Mark Poffley a d’ailleurs souligné que, du point de vue britannique, lorsqu’il est question de systèmes d’armes tels que le FMAN/FMC, “nous souhaitons être interopérables avec un grand nombre de nations dont nous sommes proches et qui nous sont chères”, ne serait-ce qu’en raison des avantages à l’exportation prodigué par l’interopérabilité.
Toujours à Londres, Sir Simon Bollom a également souligné que le Royaume-Uni souhaiterait que le FMAN/FMC soit intégré, à l’avenir, au F-35. Une telle intégration pose évidemment la question de l’interopérabilité des futurs missiles avec le logiciel ALIS (Autonomics Logistics Information System), conçu par Lockheed Martin, qui joue un rôle central dans la mise en œuvre quotidienne du F-35.
Au cours des auditions organisées à Paris, M. Joël Barre a indiqué souhaiter, lui aussi, que soit conçu “un système ouvert, c’est-à-dire effectivement capable de se connecter à différents types de porteurs ou différents types de systèmes d’armes» ajoutant qu’il devait être “compatible avec l’ensemble des systèmes dont pourraient disposer nos alliés, en particulier notre allié américain”. M. Barre a également insisté sur le fait que, malgré l’exigence d’interopérabilité, “il faut le faire de manière ouverte et souveraine, c’est-à-dire en garantissant que les Européens soient entièrement maîtres des technologies employées afin de se prémunir de toutes restrictions, d’emploi comme d’exportation”.
Il est donc essentiel que le FMAN/FMC soit interopérable avec un large éventail de plateformes mises en œuvre par nos alliés. Cet impératif répond à une double exigence, certes commerciale, mais surtout opérationnelle. Le FMAN/FMC devra ainsi pouvoir être intégré sous le F-35, et ainsi être interopérable avec le logiciel ALIS et le système de données MADL qui permet aux F-35 de transmettre des données sensibles.
La préservation de notre souveraineté sur les futurs missiles ne s’oppose pas à la recherche d’une interopérabilité avec les systèmes dont disposent nos alliés. Dans ce contexte, nous invitons les autorités françaises et britanniques ainsi que MBDA à étudier, au cours de la seconde moitié de la phase de concept, de quelle manière pourrait être garantie l’interopérabilité avec nos alliés, en particulier notre allié américain, ainsi qu’avec les plateformes construites par les industriels américains ou mettant en œuvre des logiciels américains, ce qui peut se faire sans préjudice du contrôle souverain de la France et du Royaume-Uni sur les futurs missiles.
La présente partie a permis d’identifier un certain nombre de questions en suspens qui devront être résolues afin de poursuivre avec succès la conduite du programme FMAN/FMC au-delà de la phase de concept, qui prendra fin en 2020. Pour ce faire, chaque pays devra faire preuve de pragmatisme et d’un certain sens du compromis. Néanmoins, bien qu’elles ne soient pas anodines, ces difficultés ne sont pas insurmontables et, au regard de l’ancienneté et de la robustesse de la relation qui lie la France et le Royaume-Uni, nous sommes pleinement confiants dans la capacité de nos deux pays à parvenir à un accord.
Comme l’ont rappelé lors des auditions organisées à Londres et à Paris les représentants des autorités britanniques et françaises, la France et le Royaume-Uni constituent les deux principales puissances militaires en Europe. Cette situation a conduit nos deux pays à bâtir une relation bilatérale robuste, qui n’a eu de cesse de s’intensifier au cours des dernières années.
À Londres, M. Guto Bebb, alors ministre chargé des acquisitions militaires, a ainsi souligné l’approfondissement significatif de la relation bilatérale, évoquant la conduite d’opérations en commun, qu’il s’agisse des dispositifs d’escortes mis en place pour protéger le porte-avions Charles-de-Gaulle ou le bâtiment de commandement et de projection britannique Albion comme, plus récemment, des frappes conduites en Syrie avec les forces américaines ou du déploiement d’hélicoptères CH-47 Chinook britanniques au Sahel, auprès de la force Barkhane. Il a également salué notre coopération dans le domaine du nucléaire, mentionnant notamment “le développement en commun de certaines capacités de recherche, à l’instar du programme Teutates”.
À Paris, l’amiral Christophe Prazuck, chef d’état-major de la marine, a également fait état de l’importance des escortes mises en place par un pays au profit d’un bâtiment de surface de l’autre, et rappelé que nos deux pays avaient conduit au printemps dernier un exercice amphibie commun, Catamaran, dans le cadre de la constitution de la force expéditionnaire commune interarmées (CJEF). Parmi les champs de coopération, M. Joël Barre, délégué général pour l’armement, énumérait, quant à lui, “le domaine de la guerre des mines”, pour lequel un projet de démonstrateur a été initié, ainsi que “le domaine des technologies de l’aviation de combat, conformément à la réorientation décidée ensemble lors du sommet de Sandhurst en janvier dernier”. Enfin, il rappelait que “le programme ANL est également en cours de réalisation”.
La coopération franco-britannique dans le domaine de la défense dépasse donc le cadre du programme FMAN/FMC. Néanmoins, de l’aveu de nombreux acteurs, il en constitue aujourd’hui l’épine dorsale.
Cela s’explique par le fait que l’importance de ce programme ne se limite pas seulement à la conception et la construction d’un nouveau système d’armes, offrant à nos forces de nouvelles capacités en matière de frappe anti-navires, de suppression des défenses aériennes ennemies ainsi que de frappe dans la profondeur. Son ampleur se mesure également aux gains tirés de la coopération en termes de conservation de capacités souveraines, de renforcement des bases industrielles et technologiques de défense et de ‘value for money ‘.
Depuis le 23 juin 2016,138 les autorités de chaque pays n’ont eu de cesse de souligner l’importance de la relation franco-britannique en matière de défense, indépendamment du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. Le dernier sommet bilatéral a d’ailleurs permis de souligner “la relation unique et étroite entre nos pays, deux des plus anciennes et des plus grandes démocraties au monde”.139 Plus récemment, lors du conseil franco-britannique de défense du 20 septembre 2018, Mme Florence Parly, ministre des Armées, rappelait que le “partenariat [franco-britannique] est aussi crucial que jamais, indépendamment du Brexit.” Le même jour, le chef d’état-major des armées britanniques, Sir Nicholas Carter, rappelait que “le lien Londres-Paris est vital pour la défense”.
Comme on l’a vu, la relation bilatérale dépasse largement le cadre du programme FMAN/FMC. Celle-ci s’est fortement intensifiée depuis la signature des accords de Lancaster House, Sir Mark Poffley notant d’ailleurs “un changement considérable dans notre relation au cours des cinq dernières années. Celle-ci est devenue des plus fortes, tant en termes d’analyse de la menace que de la faculté à la transcrire en capacités militaires”. Selon lui, tant l’état-major des armées français que la direction générale de l’armement se sont très fortement rapprochés du ministère de la Défense britannique, ce mouvement se traduisant par un accroissement des échanges d’informations.
De ce point de vue, le programme FMAN/FMC constitue une opportunité d’intensifier cette relation. En effet, sa réussite impose d’échanger des informations des plus sensibles. À titre d’exemple, l’intégration du futur missile au F-35 nécessitera sans doute d’exploiter des informations auxquelles les autorités françaises n’ont pas accès. D’autres informations très sensibles pourraient être difficiles à partager–ainsi des contre-mesures ou des bibliothèques de menaces. Afin de faciliter les choses, les autorités de nos deux pays ont entamé des discussions pour déterminer les conditions d’un échange d’informations, la France ayant quant à elle engagé, sous l’égide du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), une réforme de son système de classification afin de se rapprocher des pratiques des autres pays européens, et notamment du RoyaumeUni.
En cas de succès, le programme FMAN/FMC constituera un pilier important pour nos deux pays en termes de liberté d’action militaire.
Par ailleurs, il sera un élément clé pour assurer l’interopérabilité entre nos deux pays. L’interopérabilité de ces futurs missiles constitue sans aucun doute un défi autant qu’une opportunité d’accroître l’intégration de nos forces avec celles de nos alliés. Aujourd’hui, les forces britanniques et françaises sont déjà largement interopérables. Ceci est principalement le fait de notre appartenance commune à l’Organisation du Traité de l’Atlantique nord (OTAN), qui constitue un outil de normalisation des équipements militaires. À l’avenir, il faudra approfondir cette interopérabilité, afin de permettre à nos deux pays de maintenir et de développer leurs propres normes et leurs propres produits.
L’interopérabilité est d’autant plus essentielle qu’elle facilite la conduite d’opérations en coalition. En effet, alors que la capacité à concevoir rapidement la préparation opérationnelle est essentielle à la réussite d’une intervention, construire ensemble des systèmes d’armes sophistiqués simplifie leur emploi coordonné. Lorsque les Britanniques, les Américains et les Français ont frappé en Syrie, il y a quelques mois, l’opération a été facilitée par l’interopérabilité entre nos forces.
Enfin, la réussite d’un programme en coopération permet, en théorie, d’accroître le stock de missiles commandés grâce à une réduction du coût unitaire.
Si les négociations sont toujours en cours pour déterminer les conditions de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, le communiqué commun publié à l’issue du Sommet de Sandhurst indiquait que, “ce Sommet a lieu alors que le Royaume-Uni se prépare à quitter l’Union européenne, mais le RoyaumeUni ne quitte pas l’Europe”. À ce sujet, M. Guto Bebb rappelait devant les parlementaires qu’il n’y “a aucun doute quant au fait que nous souhaitons être impliqués dans des initiatives et des projets européens, même après le Brexit”.
Dans ce contexte, la coopération sur les systèmes d’armes constitue un élément essentiel pour parvenir à conforter la coopération européenne en matière de défense. Côté français, la loi de programmation militaire pour les années 2019–2025 revendique d’ailleurs clairement cette orientation européenne: “les programmes d’équipement lancés au cours de la LPM 2019–2025 seront prioritairement conçus dans une voie de coopération européenne” Le FMAN/FMC est identifié comme l’un des projets clés à mener au cours des années à venir. Côté britannique, le chef d’état-major des armées indiquait dans la presse, le 20 septembre 2018, que “ce qui procure un avantage décisif, c’est l’édification à long terme de relations fondées sur confiance et respect mutuels, qui naissent d’un entraînement commun, d’une mise à l’essai commune de la doctrine et des tactiques et du développement ensemble d’une capacité militaire”.140
Dès lors, la conception, le développement et, à terme, l’emploi d’une arme aussi stratégique de manière commune ne peut que rehausser la participation de nos deux pays à la défense de l’Europe.
Le renforcement et la pérennité de la base industrielle et technologique des deux pays se trouvent au cœur du programme FMAN/FMC.
Ainsi qu’il l’a été exposé précédemment, les accords de Lancaster House ont institué une dépendance mutuelle. Celle-ci s’est traduite par la mise en place de centres d’excellence franco-britanniques partagés, qui doivent permettre d’optimiser les ressources et de réduire les redondances dans un certain nombre de domaines technologiques entre les filiales française et britannique, dégageant ainsi des économies d’échelle au bénéfice de la compétitivité de l’entreprise.
Désormais, l’enjeu est de conforter une industrie missilière binationale, reposant sur un maître d’œuvre et des équipementiers souverains, pérennes et compétitifs, capables de développer les missiles les plus modernes sur le long terme. La conduite du programme FMAN/FMC exigera les compétences des plus pointues. Aujourd’hui, à travers MBDA, ses pôles d’excellence partagés entre les deux nations et ses sous-traitants, l’industrie franco-britannique dispose bien des aptitudes nécessaires pour être en mesure de réaliser ce développement dans le calendrier prévu.
La conception et le développement de missiles de nouvelle génération font appel à des compétences spécifiques, parfois détenues par un très faible nombre de personnes. Comme le soulignent souvent les acteurs industriels, ces compétences sont longues à acquérir et rapides à perdre. Comme indiqué précédemment, l’abandon du programme ne serait pas sans conséquence pour MBDA, qui serait alors confronté à de sérieux défis en termes de maintien des compétences comme de sa base industrielle. Lors de son audition à Paris, M. Chris Allam exposait ainsi les conséquences potentielles d’un échec du programme pour MBDA : “nous risquerions de perdre toutes les compétences acquises dans le domaine des missiles en Europe. Ce programme est fondamental. Il ne s’agit pas du seul programme dont MBDA est en charge, mais il est absolument central. De la même manière que le programme SCALP/Storm Shadow fut au cœur de la création de MBDA à ses débuts, ce nouveau programme constitue aujourd’hui le cœur de MBDA”.
Par ailleurs, si la phase de développement est lancée avec succès à compter de 2024, il conviendra d’accorder une attention particulière au partage industriel entre les deux pays ainsi qu’entre les différents industriels du secteur
Comme évoqué précédemment, les caractéristiques du concept finalement retenu seront alors déterminantes pour déterminer les modalités de ce partage : les industriels britanniques disposent d’une réelle expertise dans le domaine de la furtivité, tandis que les acteurs français sont davantage expérimentés dans le domaine de l’hyper-vélocité.
À ce sujet, rappelons que le choix d’une famille de missiles pourrait résoudre un certain nombre de questions. En effet, s’il était décidé de privilégier l’accroissement de l’allonge pour la capacité de frappe dans la profondeur, ce qui suppose de perdre en vitesse, une solution subsonique furtive pourrait être envisagée pour le futur missile de croisière aéroporté. A contrario, une solution supersonique pourrait être préférée pour la capacité de frappe anti-navires et de suppression des défenses aériennes. Ainsi, les acteurs britanniques et français seraient chacun mobilisés sur un sous-ensemble “propulsion”, autorisant de fait un partage sur l’autre segment : le sous-ensemble “navigation-guidage”.
En la matière, si MBDA UK dispose d’une compétence certaine, comme en témoigne la conception de l’autodirecteur des missiles sol-air CAMM, le groupe Thales occupe une place de leader sur les autodirecteurs, qu’il s’agisse d’autodirecteurs passifs comme celui qui équipe le missile MICA air-air ou surface-air qui équipe les Rafale ou les Mirage 2000, ou de produits ayant recours à une antenne active, à l’instar du 4A qui équipera le missile MICA de nouvelle génération, dit NG. Là aussi, il conviendra de s’assurer d’associer l’ensemble de la chaîne industrielle, afin de préserver les compétences et, ce faisant, l’autonomie industrielle et nos capacités souveraines.
Le partage financier du fardeau est intimement lié à l’organisation de MBDA issue des accords de Lancaster House. La mise en place des centres d’excellence a permis de réaliser des économies d’échelle importantes.
Au-delà, le principe d’un financement commun du programme devrait conduire à partager entre les deux pays le coût du développement de capacités militaires futures, ce qui n’est pas anodin dans le contexte actuel des finances publiques.
De plus, la conduite d’un programme en coopération permet, en théorie, de diminuer le coût unitaire du produit, autorisant un accroissement du nombre commandé. Les bénéfices de cet “effet de série” seraient d’ailleurs encore plus importants en cas d’élargissement du programme à d’autres pays.
Pour l’heure, si une telle hypothèse n’est pas à l’ordre du jour, M. Joël Barre indiquait, lors de son audition à Paris, que “d’autres pays pourraient rejoindre le programme, mais [que] cela dépendra de la réflexion dans d’autres pays voisins”. M. Antoine Bouvier estimait, en tant qu’industriel, que “ce programme de frappes en profondeur et anti-navires est un excellent exemple en ce sens que nous ambitionnons d’élargir progressivement son périmètre, une fois que la France et la Grande-Bretagne auront atteint une maturité suffisante, aux autres pays européens qui ont aujourd’hui des missiles de croisière”. L’on peut en effet imaginer que le FMAN/FMC ait vocation, pour sa capacité de frappe dans la profondeur, à remplacer le SCALP EG mis en œuvre par les forces italiennes comme le missile TAURUS KEPD 350 opéré par les forces allemandes, suédoises et espagnoles.
Quoi qu’il en soit, l’équilibre économique du programme reposera également sur sa réussite à l’export. D’ailleurs, dans le cas du SCALP EG / Storm Shadow, c’est bien l’export qui a permis d’accroître l’effet de série et de retrouver, “en termes de série produite, des ordres de grandeur américains au lieu des 10 % habituels”.141
Concevoir un produit destiné uniquement au marché franco-britannique pourrait constituer une erreur à plusieurs égards:
Dès lors, l’exportation constitue un facteur clé pour baisser les coûts, assurer l’équilibre économique du programme et contribuer à l’influence de nos deux pays. D’ailleurs, à Londres, M. Guto Bebb a souligné que, selon lui, “l’export constituait un enjeu important”, rappelant au passage que l’une des raisons du succès de MBDA avait été sa capacité en matière d’exportations. Dans ce contexte, rappelons que le missile SCALP/Storm Shadow a été “pensé pour l’exportation”.142 Bien entendu, il conviendra de demeurer vigilant quant à l’identité des pays acquéreurs et c’est pourquoi, lors de son audition à Paris, M. Joël Barre soulignait “qu’il n’y a pas de coopération possible et efficace entre nos deux nations sur tel ou tel système d’arme, y compris celui dont nous parlons aujourd’hui, si nous ne nous mettons pas d’accord sur des règles communes d’exportation”.
La capacité à exporter ces futurs missiles est d’autant plus essentielle qu’ils seront commercialisés en même temps que des plateformes, dont l’exportation a été jugée “cruciale” par M. Guto Bebb. Il est en effet difficile de proposer à la vente un bâtiment ou un aéronef dépourvu de système d’arme, puisque l’exportation des plates-formes aériennes et navales requiert la maîtrise des armements dont ils sont équipés. L’exportabilité des futurs missiles est donc indispensable pour exporter les plates-formes qui en seront équipées. Dans ce contexte, le niveau de performance des futurs missiles sera par ailleurs un argument de poids lorsque la France et le Royaume-Uni répondront à des appels d’offres étrangers. Devant les parlementaires, M. Antoine Bouvier indiquait ainsi à Paris que “la performance d’un système couvre celle d’une arme et d’une plateforme. C’est la combinaison des deux qui assure la performance de l’ensemble”.
De manière générale, on peut distinguer deux groupes de pays vers lesquels une exportation serait envisageable. D’abord, le cercle des pays européens qui, en l’absence d’élargissement du programme, pourraient naturellement être intéressés par l’acquisition du FMAN/FMC. Ensuite, d’autres pays susceptibles d’être séduits par un équipement de très haute performance, à l’instar de ce qu’il s’est passé pour le METEOR.
Afin de s’accorder sur les règles d’exportation du missile, le SGDSN et le ministère de la Défense britannique échangent régulièrement dans le cadre du comité de gouvernance One-MBDA. Ce travail a permis d’harmoniser des listes blanches, identifiant les couples produits-destinataires pour lesquels l’exportation ne pose a priori pas de problème pour les deux États.143 Concernant le FMAN/FMC, il est trop tôt pour dire si la question de son exportabilité sera traitée dans le cadre de ces listes blanches rattachées à l’initiative One-MBDA, ou si elle sera couverte par un accord franco-britannique spécifique.144 Quoi qu’il en soit, il conviendra de clarifier cette question en amont du développement du FMAN/FMC, et la décision finale d’exporter sera toujours prise au cas par cas.
Restera néanmoins à se montrer compétitifs vis-à-vis des principaux concurrents de MBDA. En Europe, le groupe norvégien Konsberg, en partenariat avec Raytheon, constitue un sérieux concurrent grâce à ses produits NSM et JSM. Néanmoins, au sein du bloc occidental, les acteurs américains sont les plus grands concurrents.
Il sera donc essentiel d’anticiper les effets de certaines réglementations susceptibles de limiter notre capacité à exporter ces produits, et en particulier la réglementation américaine sur le commerce international d’armement (International Traffic in Arms Regulations–ITAR).145 Cette réglementation a trait au contrôle de l’importation et de l’exportation de produits de défense inscrits sur la liste des matériels militaires américains (US Military List–USML). La réglementation ITAR ne s’applique pas simplement à une plateforme dans son ensemble mais porte également sur ses composants, ce qui n’est pas sans conséquence pour les pays tiers.
Dès lors, les deux pays pourraient utilement s’inspirer de l’expérience du programme SCALP/Storm Shadow. En effet, l’étude de la Fondation pour la recherche stratégique précitée souligne que “les contraintes d’autonomie et d’exportabilité, en particulier vis-à-vis de l’ITAR, ont orienté l’industrie vers des solutions européennes”. Cela n’a néanmoins pas empêché les autorités américaines de faire usage de la réglementation ITAR pour bloquer, il y a quelques mois, l’exportation de missiles SCALP par la France à l’Égypte, ces missiles contenant tout de même certains composants américains.
Anticiper les effets de la réglementation ITAR et, plus largement, de toute entrave potentielle à l’exportation de ces matériels est ainsi essentiel pour le programme d’armement conduit aujourd’hui.
Dans le cadre de l’étude de concept, les autorités des deux pays, aussi bien que MBDA, devraient étudier l’impact que la réglementation ITAR est susceptible d’avoir sur le programme FMAN/FMC et, ce faisant, s’assurer qu’ont bien été tirées les leçons des expériences passées, à l’instar des difficultés rencontrées pour l’exportation du SCALP vers l’Égypte.
Au moment de conclure, il convient de rappeler que la phase de concept en cours laisse encore deux ans aux autorités françaises et britanniques pour parvenir à un accord sur la poursuite du programme FMAN/FMC. Nous sommes encore au début du processus, et il est donc encore temps d’affiner les attentes et les exigences des autorités politiques et militaires, tant au niveau national que de manière conjointe. Il est néanmoins indispensable d’être conscient du fait que ce programme puisse échouer et des conséquences qui en résulteraient. Si le programme devait ne pas se poursuivre au-delà de la phase de concept, prévue jusqu’en 2020, que ce soit pour des raisons technologiques ou financières, l’impact serait significatif sur la coopération francobritannique, sur le partenariat industriel unique que nous avons mis en place ainsi que sur le maintien des compétences fondamentales qui ont été constituées au travers de MBDA. Le renforcement de la base industrielle et technologique de défense franco-britannique, au travers de l’intégration toujours plus poussée de MBDA, constitue en effet l’une des racines des accords de Lancaster House.
Néanmoins, il n’y a aucune raison qu’une telle hypothèse se réalise. Nous avons bon espoir que les deux parties parviennent à trouver une issue positive à la fin de la phase de concept. La phase de concept n’en est encore qu’à ses débuts et d’importantes étapes ont d’ores et déjà été franchies. Même si certaines questions clés demeurent, nous sommes persuadés qu’elles pourront être résolues, de manière constructive.
Comme le soulignait Sir Simon Bollom à Londres, la France et le Royaume-Uni entretiennent une relation empreinte de maturité, fondée sur une capacité à construire des compromis et éprouvée au fil des années. Cette mission d’information commune témoigne de la robustesse de cette relation, de son caractère pragmatique comme de notre intérêt commun à ce qu’elle perdure aujourd’hui avec le même succès qu’hier.
97 Traité de coopération en matière de défense et de sécurité entre la République française et le Royaume de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, signé le 2 novembre 2010 par MM. Nicolas Sarkozy et David Cameron.
98 Traité de coopération en matière de défense et de sécurité entre la République française et le Royaume de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, article 1er.
99 La déclaration franco-britannique sur la coopération de défense et de sécurité du 2 novembre 2010.
100 Prévu par les accords de Lancaster House.
101 M. Julian Lewis et Mme Ruth Smeeth ont également participé aux auditions organisées à Londres.
102 Général de division.
103 Il s’agit de l’appel d’offres CASOM (Conventional Armed Stand-off Missile).
104 Devaux, J-P., et Ford, R., “Scalp EG / Storm Shadow: les leçons d’une coopération à succès”, Fondation pour la recherche stratégique, recherches & documents, n°09/2018. Accessible ici.
105 Étude de la Fondation pour la recherche stratégique précitée.
106 La France et le Royaume-Uni ont ainsi lancé le programme de missile air-air à longue portée METEOR avec quatre autres nations européennes (Allemagne, Espagne, Italie, Suède) au début des années 2000. Par la suite, le Royaume-Uni a rejoint la coopération initiée par la France et l’Italie sur les systèmes de défense sol-air à partir du missile sol-air ASTER.
107 Missiles de type Exocet ou Harpoon que le FMAN a vocation à remplacer.
108 Le contrat a été notifié le 26 mars 2014.
109 Le 17 mai 2018, le ministre de la Défense britannique, M. Gavin Williamson, et la ministre des Armées, Mme Florence Parly, ont d’ailleurs salué la réussite d’un second tir d’essai, intervenu le 18 avril 2018 à partir d’un hélicoptère banc d’essai de type Panther de la division DGA Essais en vol sur une cible en mer, au large de l’île du Levant (Var, France).
110 À titre d’exemple, le 29 mars 2018, le délégué général pour l’armement, M. Joël Barre, a reçu son homologue britannique, le ministre des acquisitions de défense, M. Guto Bebb.
111 Cette dépendance mutuelle permet néanmoins à chaque pays de conserver un certain niveau d’autonomie. Elle ne doit pas être conçue comme irréversible.
112 L’accord intergouvernemental est entré en vigueur en 2016 après ratification par le Royaume-Uni et la France. En France, la loi du 7 octobre 2016 a autorisé l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord concernant les centres d’excellence mis en œuvre dans le cadre de la stratégie de rationalisation du secteur des systèmes de missiles.
113 La Revue stratégique de 2017 en France et la National security strategy and strategic defence and security review de 2015 au Royaume-Uni.
114 Certes, une menace terroriste ou proto-étatique continuera à nourrir des conflits asymétriques. Depuis la création d’Al-Qaïda en 1987, la menace terroriste n’a cessé de se renforcer, conduisant à une démultiplication des groupes terroristes qui opèrent sur des espaces de plus en plus étendus. Face à ces ennemis qui s’installent sur le long cours, les forces conventionnelles françaises et britanniques auront toujours à conduire des actions dans le “bas du spectre”, sans que la suprématie occidentale ne puisse être réellement contestée.
116 Sont notamment visés les avions chinois Chengdu J-20 ou russes Sukhoï Su-57.
117 Les deux pays se sont engagés, à moyen-terme, à consacrer 2 % de leur PIB à leurs armées.
118 La France dispose d’un porte-avion, le Charles de Gaulle, quand les britanniques en possèdent deux, le HMS Queen Elizabeth et le HMS Prince of Wales.
119 Au regard de ces trois capacités – la capacité de lutte anti-navires, la destruction des défenses aériennes ennemies et la capacité de frappe dans la profondeur –, l’on peut d’ailleurs s’interroger sur la pertinence de l’appellation retenue pour ce programme. De fait, la capacité SEAD n’est pas clairement identifiée, ce que l’on peut regretter.
120 Selon les informations transmises lors des auditions conjointes du 11 juillet 2018 à Londres.
121 Il existe deux versions mer-mer du missile Exocet: le mer-mer 38 (MM38), qui n’est plus fabriqué, et le mer-mer 40 (MM40), qui équipe aujourd’hui les forces françaises. Plusieurs générations du MM40 ont vu le jour: le Block 1, le Block 2 et, dernièrement, le Block 3.
122 Les britanniques opèrent la version mer-mer du Harpoon: le Roof Guided-Missile-84 (RGM-84). Deux générations de cette version du Harpoon sont entrées en service: le Block 1 et le Block 2.
123 Pour une analyse approfondie de ces sujets, on pourra se référer au rapport d’information sur les enjeux de la numérisation des armées présenté par MM. Olivier Becht et Thomas Gassilloud le 30 mai 2018.
124 L’attachement de nos deux pays à la poursuite du programme FMAN/FMC a ainsi été rappelé lors du Sommet de l’Elysée du 17 février 2012, du Sommet de Brize Norton du 31 janvier 2014, du Sommet d’Amiens du 3 mars 2016 et du Sommet de Sandhurst du 18 janvier 2018.
125 Il s’agit de l’instruction générale n°1516 relative au déroulement et à la conduite des opérations d’armement du 26 mars 2010.
126 Deux contrats d’étude ont été conclus en 2012 pour permettre un échange d’informations portant notamment sur les capacités ennemies, dont la connaissance la plus fine possible est essentielle à la définition du besoin opérationnel.
127 Le 28 mars 2017, le délégué général pour l’armement, M. Laurent Collet-Billon, et son homologue britannique, la ministre pour les acquisitions de défense, Mme Harriett Baldwin, ont en effet signé à Londres un accord relatif à l’étude de futures technologies de missiles menée par MBDA.
128 Cette phase débutera trois mois avant la fin de la tranche précédente.
129 Audition de la mission conjointe qui s’est tenue à Londres le 11 juillet 2018.
130 https://www.defense.gouv.fr/salle-de-presse/communiques/communiques-du-ministere-des-armees/succes-du-2eme-tir-de-developpement-du-missile-antinavire-leger-franco-britannique-anl-sea-venom.
131 Think Defence, UK Complex (Guided) Weapons: Harpoon
134 G. Evans (7 May 2017), Securing the Royal Navy’s future firepower, Naval Technology
135 R, Scott (2 October 2018), French Navy to receive MM40 Block 3C Exocet, Jane’s Missiles and Rockets
137 En juillet 2017, le gouvernement britannique a annoncé le lancement d’une National Security Capability Review (NSCR), destinée à actualiser la Strategic defense and security review de 2015. En 2018, il a été annoncé que la partie “défense” du NSCR serait séparée du reste et deviendrait le Modernising Defense Programme (MDP), placé sous la supervision du ministère de la Défense britannique. Le contenu du MDP devrait être dévoilé d’ici la fin de l’année 2018.
138 Date du référendum sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne.
139 Sommet franco-britannique de Sandhurst, 18 janvier 2018, communiqué conjoint.
140 Le Figaro, 20 septembre 2018.
141 Devaux, J-P., et Ford, R., “Scalp EG / Storm Shadow: les leçons d’une coopération à succès”, Fondation pour la recherche stratégique, recherches & documents, n°09/2018. p.15.
142 Fondation pour la recherche stratégique. Etude précitée, p. 16.
143 Il n’existe pas de “listes noires”, le principe étant un blocage par défaut des exportations d’armements.
144 Le programme METEOR prévoit par exemple un processus spécifique de concertation entre les nations partenaires avant que le pays exportateur ne délivre sa licence.
145 L’ITAR (International Traffic in Arms Regulations) n’est pas le seul régime de contrôle par les autorités américaines. Il existe en effet d’autres outils de contrôle, comme l’EAR (Export Administration Regulation) ou les sanctions de l’OFAC (Office of Foreign Assets Control).
Published: 12 December 2018